Les archives militaires

 

Dans le dernier bulletin, je vous ai présenté l’aventure que j’ai vécue en découvrant Valentin Heurtebise, Père Blanc Missionnaire d’Afrique.
Dans nos recherches, nous avons malheureusement plus de chance de découvrir des militaires que des hommes d’église pour au moins deux raisons : chaque citoyen peut être un jour appelé sous les drapeaux et devenir militaire. Un homme d’église n’a pas de descendance.
Les archives de l’armée m’ont déjà permis de vous présenter le fabuleux périple de mon arrière-grand-père, 13 ans zouave dans l’armée impériale de Napoléon III.
Aujourd’hui, j’évoquerai avec vous mon père, André. Je savais que mon père était un « PG » comme on dit (prisonnier de guerre), mais son silence sur cette période de sa vie faisait que je ne savais rien, ou presque.
Les recherches entreprises auprès des archives militaires m’ont permis de reconstituer son parcours durant 7 années. Les lignes qui suivent en italique sont extraites de ma chronique familiale " A la croisée des chemins ".

Le 19 octobre 1937 mon père est incorporé et affecté au 121ème Régiment d’Infanterie à Montluçon avec le numéro matricule 1226. Le lendemain il en est de même pour un certain Lalubin René. Ils ne se quitteront plus. Mais voilà, au moment d’être libérés, c’est la déclaration de guerre et le 2 septembre 1939 ils sont affectés à la 3ème Compagnie. Au début de l’année 1940, André sera malade deux fois et connaîtra l’hôpital des Sourdes et Muettes de Bordeaux (qui deviendra l’Hôtel de police de Castéja) rue de l’Abbé de l’Epée, puis celui de La Réole. C’était de mauvais augure.
Le 24 avril, il se rend dans le Nord au CDI 25 / 121ème RI ; il y retrouve René et tous deux sont versés dans le 3ème Bataillon 3ème Compagnie.

La guerre, prisonnier.

Les Allemands n’ont pas fait dans la demi-mesure et un mois après, jour pour jour, ils sont faits prisonniers à Audruicq, prés de Calais.
Ce 24 mai il pleut ; des milliers de prisonniers sont regroupés, entourés de mitrailleuses et parqués comme du bétail. Rien à manger, rien à boire sauf l’eau de pluie.
Le 25 mai, 30 km sont parcourus à pied. Les 26 et 27 mai, même programme.
Le 28 mai, à jeun, c’est le départ pour environ 20 000 hommes, 18 km jusqu’à Gouasche qui sera l’étape du matin. L’après-midi, nouvelle marche jusqu’à 7 heures du soir. Seul repas, des pissenlits ou de la betterave ramassés au bord de la route. Certains très affaiblis tombent et ne se relèveront pas, d’autres sont abattus par les allemands.


Carnet de prisonnier de guerre au STALAG IIIB
de mon père, André Técheney.

On l’appela la ″Drôle de guerre″. Drôle de guerre pour les journalistes, chroniqueurs ou commentateurs politiques mais pas si drôle que ça pour ceux qui furent pris dans la nasse du Nord et encore pire pour ceux qui, encerclés dans la poche de Dunkerque sans pouvoir monter dans les bateaux anglais, périront sous les tirs et bombardements de l’aviation allemande.
André est avec son ami d’armes René Lalubin. Ils sont faits prisonniers ensemble et parcourent ce calvaire ensemble. Il était nécessaire de se soutenir mutuellement. Heureusement, les coups de pompe ne se font pas sentir chez tout le monde en même temps. André aidera et soutiendra physiquement et moralement René. Ce geste, René s’en souviendra et lui vouera une reconnaissance infinie durant toute sa vie. Ils devinrent amis et c’est comme cela que durant ma jeunesse, jusqu’à 17 ans, tous les ans je passe le mois d’août  chez lui à garder les vaches puis à ramasser le tabac à Fauillet dans le Lot et Garonne.

Mon père et les futurs locataires des stalags traverseront la Belgique, le Luxembourg et l’Allemagne à pied, puis, dans des camions et des wagons à bestiaux pour traverser la banlieue berlinoise et enfin arriver le soir du 6 juin à Fürstenberg sur Oder. Un camp est en construction, son nom : le Stalag III B.

Notes : Dans un livre extraordinaire Pî 8,  l’Abbé Charpentier décrit parfaitement ce qu’il a vécu sur la route de la captivité. Certains éléments ci-dessus sont puisés dans ma mémoire nourrie par mon père, d’autres viennent du récit de l’Abbé Charpentier.

Un mois plus tard c’est au tour de Gabriel, frère d’André. Après son service militaire, il est rappelé sous les drapeaux et fait prisonnier le 27 juin 1940  dans les Vosges. Il sera transféré au Stalag VIII jusqu’ à la libération.

Revenons à André et  René. Ils sont donc au Stalag III B, pas très loin de la frontière Polonaise. André reçoit le matricule 27450. Les hivers y sont rigoureux. René est agriculteur et les fermes allemandes sont désertées par les hommes partis au front. Ils sont tous les deux affectés dans une ferme, un moindre mal.

Au dire de mon père, qui parlait très peu, j’ai cru comprendre que la fermière ne lui fût pas indifférente ou peut être l’inverse ou réciproquement.

Allez donc savoir. Chaque prisonnier avait signé un document comme quoi il s’engageait à ne pas avoir de relation avec une Allemande, donc la race Aryenne pouvait être tranquille... On apprendra plus tard qu’environ 5 000 prisonniers français sont restés en Allemagne pour se marier.


Lalubin au milieu, mon père à droite

Maladie et libération

Ses ennuis de santé qui s’étaient révélés à Bordeaux au début de 1940 n’allaient pas disparaître par enchantement surtout lorsqu’on saura, à la libération, qu’il était atteint d’un diabète avec dénutrition. Il décide de s’évader deux fois mais il est repris et bien entendu le travail à la ferme est suspendu. La maladie toujours présente fait que le 16 décembre 1943 il est inscrit sur la liste 122130 pour quitter le stalag III B. Le 20 décembre lorsqu’il monte dans un wagon, il n’est pas seul. Ils sont 336 malades et blessés rapatriés par le train sanitaire N° 160. Je m’imagine que ce train devait ressembler  à celui de l’aller et qu’il ignorait sa destination. Toujours est-il que, vu la connaissance que nous avons aujourd’hui des conditions de vie dans les camps de prisonniers et du peu d’humanisme des geôliers, il me semble que dans son malheur mon père a eu la chance (toute relative) de se retrouver rapatrié à l’hôpital Charras (Hôpital de triage à Courbevoie, Seine), de rester en convalescence 5 mois, d’être démobilisé le 2 mai 1944. 
René Lalubin, lui, est libéré par les Russes le 13 février 1945 et ne rentre en France que 5 mois ½  plus tard.
Mon père, de retour en France est hébergé à Bègles chez son frère René fraiseur en chaussures. Il reprend le métier de cordonnier chez un artisan route de Toulouse.


I
ntérieur d’un baraquement de STALAG

Comment avons-nous pu reconstituer le puzzle ?

En rangeant des vieux papiers chez ma mère, je découvris la fiche de démobilisation de mon père indiquant son dernier corps d’affectation : le 121ème RI. Il était voltigeur et fut fait prisonnier à AUDRUIC le 24 mai 1940. Dernier camp, STALAG III B. Libéré malade le 20 décembre 1943, mais libre seulement le 2 mai 1944. Je venais d’avancer d’un grand pas. Encore une preuve comme quoi il est nécessaire de bien fouiller, de regarder, d’écouter et de chercher au sein de la famille.
En mars 2004, nous écrivons au bureau central d’archives administratives militaires à Pau, caserne Bernadotte, en indiquant son numéro matricule et ma filiation. « Un état signalétique et des services » le concernant nous est fourni mais sur la photocopie, des caches occultent certaines informations. 
En 2008, soit 70 ans après l’année d’incorporation, les dossiers des archives militaires de Pau sont reversés aux archives départementales.  Nous nous rendons aux AD de la Gironde et je peux consulter en salle de lecture la fiche de mon père. Je  soulève le papier cachant les informations relatives à ses parents mais surtout celui où je peux lire «  réformé le 25 avril 1945 pour diabète avec dénutrition (glyconienne) à 71 %». Je profite de mon déplacement aux archives pour consulter la fiche de mon oncle et je découvre qu’il est fait prisonnier et interné au STALAG VIII B. Il avait 34 ans.
Tous les ans, pendant un mois, mes vacances d’enfant se déroulent à la campagne dans le Lot et Garonne chez Lalubin, l’ami de captivité de mon père. Nous nous sommes rendus chez sa fille où nous avons pris connaissance du dossier qu’elle avait constitué pour la pension de réversion destinée à sa mère. Nous avons pu reconstituer leur parcours parallèle.

Pour le cas de mon père, beaucoup d’informations nous ont été communiquées par le «Bureau des archives des  victimes des conflits contemporains», rue Neuve Bourg l’Abbé à CAEN et les «Archives Nationales Hôtel de Soubise» rue des Francs Bourgeois à PARIS possèdent beaucoup de documentations et témoignages sur les STALAG.
Cet été, traversant la Pologne et l’ex-Allemagne de l’Est, nous avons recherché le STALAG IIIB à Fürstenberg sur Oder. Pas facile, mais nous avons trouvé son emplacement. Tout a été rasé, un terrain vague. Notre regret est de constater qu’aucun petit mémorial n’existe, pas même une plaque qui rappellerait qu’un jour des femmes et des hommes sont morts et ont souffert à cause de la folie de certains. Pourtant, aujourd’hui nous sommes en Europe.

Au-delà de la chasse à l’ancêtre, si nous voulons connaître le vécu de nos aïeux, il nous sera nécessaire d’affronter la jungle des archives militaires. Je citerais : les trois armées au Château de Vincennes, Fontainebleau, le BCAAM Caserne Bernadotte à Pau, les conflits contemporains à Caen, la Légion étrangère à Marseille, la Gendarmerie à Maisons-Alfort, les archives hospitalières à Limoges, les anciens combattants à Paris, les douaniers à Bordeaux, pour les Français recensés à l’étranger : Nantes, pour l’Algérie : Aix-en-Provence, les ambulanciers et infirmiers : Genève, Armée de l’Air : Dijon, marins : Toulon, Archives Nationales à Paris, Lorient, Rochefort, Brest, Châtellerault, Cherbourg …et bien entendu les mairies et les archives départementales.

Pas facile de s’y retrouver mais un petit dossier est consultable au cercle de généalogie, pensez-y. Souvent nous ignorons ce que les archives contiennent et ce qu’elles peuvent nous apporter.

Une fois de plus Internet donnera de nombreuses pistes et des adresses pour consulter les archives, mais pour connaître les horaires et conditions, interrogez les sites officiels. 

                                                                                                                     Yvon Técheney

 

 
 

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