Les Cahiers de doléances
 

 

Quel est celui ou celle qui au cours de sa scolarité n’a pas entendu parler de l’élaboration des cahiers de doléances, cahiers rédigés à la demande du roi Louis XVI par une ordonnance du 24 janvier 1789. Ils concernent chacun de nous puisqu’ils ont été rédigés dans toutes les communes de France. Il en reste aujourd’hui à peu près 60 000. Il est fort dommage que certains aient disparu.
Ces cahiers contenaient les plaintes et les vœux des populations et devaient être présentés à l’Assemblée des Etats généraux par les députés élus simultanément.
Cette assemblée fut réunie le 1er mai 1789
.

En Ardennes comme partout en France des cahiers furent rédigés. Mais ceux des Ardennes me touchent plus particulièrement car c’est de cette région que sont originaires certains de mes ancêtres et en particulier du village d’Hauviné, à la limite sud du département actuel.
Me rendant aux A.D de Charleville-Mézières, j’eus la surprise, en feuilletant les inventaires des archives de découvrir que non seulement ces documents existaient toujours, ce qui n’est pas le cas dans toutes les communes, mais qu’ils avaient été signés par un de mes ancêtres Pierre Antoine Guilpin, marchand cabaretier. C’est donc lui qui le 1er mai 1789 siégea à l’Assemblée devant le roi.
Cela prouve bien que la curiosité est parfois récompensée.

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J’ai bien entendu demandé la copie de  ces cahiers  qui étaient déposés aux A.D de la Marne. En 1789 avant la création des départements, Hauviné faisait partie du canton de Beine-Nauroy au nord de la Marne, ceci expliquant que ces documents soient conservés dans ce lieu.
Je reçus avec joie 13 feuillets dont je vous confie le contenu.

Le 8 mars 1789 les villageois « réunis au son de la cloche sonnée à la fin de la messe de la paroisse ……pour  dresser nos cahiers de doléances, plaintes et remontrances du tiers état et nommer des députés choisis parmi les plus notables …»

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Extrait du procès verbal du 8 mars 1789

Dans un premier temps ils décrivent l’état du village :

Sa situation géographique
         Le nombre de ses feux

Son environnement, en l’occurrence riant mais peu fertile relativement à la composition d’une terre qui ne peut produire que seigle, avoine et sarazin. Le froment n’est possible que si le terrain « regorge d’engrais » et de toute façon ne donne qu’une récolte tous les 3 ans.
Le terrain ne permet pas, car, sec et aride d’y faire paître du bétail.

Il est à noter que les années précédant la Révolution ont été des années de grande misère, famine liées à de très mauvaises récoltes et conditions atmosphériques.

A propos des « Impositions royales » :

« Chaque individu doit payer pour la reconnaissance envers son souverain » mais ils déplorent que le Tiers Etat soit seul écrasé par le poids du nombre infini d’impositions à l’inverse de la noblesse et du clergé. Pour augmenter les  revenus de l’Etat ils suggèrent d’imposer ces 2 Ordres.
D’autre part les biens, tant du Clergé que de la Noblesse ne sont pas toujours connus. Il serait bon par conséquent d’établir une liste des terriers exacts, liste à déposer au greffe municipal de chaque paroisse.
Pourquoi ne pas fixer une taxe pour le passage des voitures et chevaux, cette somme récoltée servirait à l’entretien des routes qui sont utilisées par les nobles et les ecclésiastiques et non par les habitants du village.

Concernant «  l’impôt des gabelles » :

« Hauviné dépend de la Grande Gabelle et paie le sel à la valeur maximale alors que des communes dans le royaume ne le paient que le 5ème ou le quart. Pourquoi pas un prix unique et la vente libre dans tout le pays pour le sel et le tabac ? Dès lors, le service de 30000 employés serait évité et pourrait être versé dans les Arts et le Commerce. Les Douanes établies pour la Sûreté du Commerce aujourd’hui sont nuisibles et ne produisent à l’état que de faibles ressources. Il serait préférable d’établir aux frontières des bureaux auxquels on paierait des droits rendant libre la circulation des marchandises étrangères et nationales à ceux qui les auraient acquittés ».

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Ce café était sûrement celui de Pierre Antoine Guilpin, peut-être la population s’était-elle réunie là pour rédiger les cahiers de doléances ?

Pour ce qui est du Commerce :

Pour faciliter la vente des étoffes de laine venant de Hauviné et des paroisses voisines, pourquoi ne pas créer à Reims, principal acheteur, un magasin, et y commettre des commis plutôt que d’acheter à des « facteurs » qui s’enrichissent aux dépens des artisans.
Ces facteurs, je pense, sont des intermédiaires qui « amènent des inconvénients, tant par leur inintelligence que par des banqueroutes souvent frauduleuses ».

Sur la justice : qui « n’est toujours qu’une mais qui est multiple par l’interprétation des us et coutumes » :
Une seule justice dans tout le royaume serait bienvenue ainsi qu’un nouveau code pour simplifier les procédures.
Les huissiers vendeurs de meubles ne sont pas mieux lotis et il serait très à propos de les supprimer. Les notaires seigneuriaux, contestés quant à leur manque de formation et d’expérience, seraient également à propos d’être supprimés.

L’Etat militaire est également étudié :

La levée des milices se fait dans un point central du département. D’où une grosse difficulté par rapport à l’inégalité des distances. Pourquoi ne pas envisager une levée dans chaque paroisse ?On souhaite le rétablissement de la maréchaussée pour la sécurité.

Police de la Province :

Les habitants souhaitent que « lors de travaux dans leur paroisse, des adjudications soient faites devant le corps municipal présent évitant ainsi des dépenses énormes ».
L’uniformité des poids, des mesures dans le royaume au moins dans la même paroisse serait souhaitable.

Quant à l’Etat ecclésiastique,
il est déploré qu’il n’y ait qu’un seul curé qui se partage entre Hauviné et Saint Clément.
« 
La présence continuelle d’un curé en inspirerait davantage et contiendrait mieux chacun dans son devoir…
la dîme du terroir étant plus que suffisante pour procurer sa subsistance à un curé demeurant sur les lieux (2000 livres environ) . Cette somme devrait permettre l’établissement d’un presbytère, régler la pension d’un curé qui y serait nommé, et assurer les réparations de l’église dont les habitants sont assujettis ».

Telles sont les très humbles et très respectueuses plaintes et remontrances du tiers état de la paroisse d’Hauviné suppliant Sa Majesté d’y avoir égard à ce que de raison.

Ces écrits recueillis dans ce lointain village de France doivent sans nul doute ressembler à ceux qui ont été rédigés au Sud, à l’Est, à l’Ouest ou au Nord de notre pays. Ils retracent ce que le peuple déplorait mais aussi le respect et la confiance qu’il avait envers le Roi. Dans leur réflexion, ces villageois m’ont paru faire preuve d’une grande maturité, je dirais, politique, de sagesse et de modération. Nulle trace de violence, mais plutôt, analyse des situations, des problèmes et, après ces analyses, propositions de solutions.
Ils ne veulent pas détruire mais seulement modifier, construire, améliorer sans être lésés ni sans léser le royaume.
J’ajouterai un autre détail peut-être sans importance, relatif à la forme : une écriture parfaitement lisible et sans faute alors que l’orthographe n’est pas fixée.

Je ne veux faire ni de polémique, ni de comparaison avec notre époque à aucun point de vue.

J’ai simplement retracé les pensées de nos ancêtres et du mien, Pierre Antoine Guilpin marchand cabaretier, mort dans les Ardennes Françaises après la Révolution de 1789.

 

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