Valentin Heurtebise, Père Blanc, Missionnaire d’Afrique

 

Cette fois, je vous présente une nouvelle aventure extraite de ma chronique familiale « A la croisée des chemins » qui va sûrement vous donner envie de persévérer ou de commencer des recherches.

C’est un aïeul bien caché, un aïeul dont vous ne connaissiez pas l’existence, qui ne se marie pas, qui n’a pas d’enfant et qui ne meurt pas. L’aïeul par définition " énervant ",  mais pas n’importe quel aïeul.

Mon arrière grand-père maternel est bien identifié ; Stéphane Placide René Heurtebise né à Noyen dans la Sarthe.
Ses parents, René et Zoé Chauvin se sont mariés à Noyen.
Nous découvrons qu’ils ont deux autres enfants, nés à Noyen, Ernestine et Valentin, mais impossible de trouver quoi que ce soit à leur sujet. Malgré nos recherches aux AD du Mans aucun acte à leur sujet.
Valentin étant du sexe masculin, il nous semble plus raisonnable de nous concentrer sur son sort.
Aucun décès prématuré à son sujet et 20 ans après sa naissance aucun mariage, aucun enfant.
Nous avons beau consulter les registres des communes voisines de Noyen, rien. Méthode du colimaçon, rien. Les recensements, rien.

Par la suite, la consultation des actes notariés nous montrera que Valentin était présent lors de certaines successions.

Dernier recours, les registres d’incorporations. La liste des Heurtebise dans la Sarthe est longue, deux pages mais un Valentin y possède sa ligne. Sommes nous prêt du but ?

Nous demandons à consulter la fiche d’incorporation et nous découvrons que ses parents sont bien René Heurtebise et Zoé Chauvin et le mystère s’éclaircit. « Il est dégagé des obligations militaires étant entré dans les ordres majeurs le 16 septembre 1886 à Alger ».
Mais bien sûr ! Voila la provenance de ce chapelet que ma mère gardait précieusement dans la vitrine de sa chambre. Je me rappelle à ce moment là qu’effectivement, dans notre enfance, elle nous parlait d’un certain Père Blanc mais d’une manière assez hypothétique. 


Courrier réponse des Pères Blancs

 

La révélation

A tout hasard nous écrivons aux Pères Blancs d’Afrique à Paris. La réponse est rapide : 11 pages des rapports annuels de la Société Missionnaires d’Afrique (1931/1932) font l’éloge de mon aïeul, il occupait les plus hautes fonctions chez les Pères Blancs, c’est un Saint homme.
Je ne peux m’empêcher de citer ces quelques lignes extraites du rapport annuel de la Société (des Pères Blancs) de 1933:
Après une mutation pour raison de santé, le Père Valentin  Heurtebise écrit à Mgr Livinhac successeur de Mgr Lavigerie :
« La poussée de phtisie que je viens d’avoir est, je crois, calmée  pour le moment, et je me trouve  maintenant sensiblement le même qu’auparavant. Je tiens à le dire à Votre Grandeur afin de la rassurer. Ma conscience m’impose le devoir de Lui dire aussi que si j’étais dans ma famille ou petit curé de campagne, je n’aurais nullement les moyens de chercher quelques années de vie de plus en changeant de climat ; par conséquent, si je devais changer de poste, il faudrait tenir compte des besoins de la  Société et non de ceux de ma personne.
PS. Il serait très ridicule de ma part, après m’être donné à Dieu dans la Société, de désirer d’y être traité mieux que je ne l’aurais été dans ma famille ou dans mon pays.»

Cette fois-ci la légende rejoint la réalité et avec quel panache.
Il devient l’orgueil de la famille. Après avoir questionné les Missionnaires d’Afrique Pères Blancs de Paris nous avons pu glaner assez d’informations, en partie avec internet, pour envisager  de rédiger une petite biographie de 25 pages et l’insérer dans mon livre.
Mais une frustration se faisait de plus en plus pressante : je n’avais pas de photo de Valentin et malgré mes investigations le résultat était négatif.
Je commençais à bien connaître mon arrière grand-oncle mais aucune image à déposer sur son visage.


Suite à un courrier et une communication téléphonique avec le Père Blanc responsable des archives de Paris, ce dernier me conseille de contacter la photothèque des Missionnaires d’Afrique à Rome. Qu’à cela ne tienne. Une lettre traduite en italien et un mail sont rédigés.
Le lendemain, sur mon ordinateur, dans la messagerie, cinq messages avec quatre pièces jointes, expéditeur : Rome.

Groupe des novices Pères Blancs en 1883, Valentin Heurtebise assis 4ème en partant de la gauche

Une fois de plus c’est la révélation, le Père Valentin Heurtebise est là, devant moi, et je le découvre au noviciat en 1883, puis en partance pour le Nyassa en 1889, St Joseph de Thibar en 1898, en 1907 c’est le départ pour l’Ouganda. Les photos sont de très bonne qualité. J’ai de la chance et une fois de plus la persévérance vient de payer et je remercie les Pères Blancs de tout mon cœur car grâce à leurs archives, leur classement, la culture du souvenir et leur gentillesse, je peux enfin mettre un visage sur Valentin Joseph Heurtebise.

Si je fais le bilan de toutes mes recherches, c’est le personnage dont j’ignorais jusqu’à l’existence et dont aujourd’hui je connais le mieux la vie, sa biographie de 25 pages que j’ai rédigée en est le reflet.

Il reçoit l’habit de "La Société" le 21 septembre 1883 à l’âge de 20 ans. ("La Société" est le nom donné aux Missionnaires d’Afrique, Pères Blancs.)

Le 8 septembre 1884 il prononce son serment à Carthage (Tunisie).

Sous-diacre le 16 septembre, diacre le 20, il est promu prêtre par le Fondateur lui-même, Monseigneur Lavigerie, le 22 septembre 1886. Aussitôt le Père Heurtebise devient professeur à l’école apostolique de Saint-Eugène jusqu’en 1889. Ces mêmes années, un autre professeur de 3 ans son aîné, le Père Augustin Hacquard enseigne sur les mêmes estrades. Ils se retrouveront en 1894 lorsqu’il s’agira de la première caravane pour le Soudan

 

Missionnaire au Nyassa

 


Départ pour le Nyassa en juillet 1889, Valentin est debout à droite

Rapports Annuels de la Société 1889 :

Le 14 mai 1889 notre Très Vénéré Père Lavigerie annonce que le Père Heurtebise et le Frère Antoine sont nommés pour le nouveau poste au Nyassa, le 17 mai sont connus les noms de ceux qui sont choisis pour compléter la caravane, ce sont les Pères Lechaptois et Mercui, le frère Chrétien et le 18 mai le Père Heurtebise est remplacé par le RP Lévesque dans sa fonction d’économe.

Le Révérend Père Mercui, dans son volume Les origines de la Société, indique que rarement des missionnaires envoyés en pays inconnu eurent autant à souffrir.  Ils manquaient de tout,  la quinine s’était épuisée et ils ne pouvaient plus combattre la fièvre. Les pauvres Pères sont confinés sur les bords du Shiré où pullulaient les anophèles. Le Père Heurtebise est administré trois fois, échappant à la mort il est rapatrié en 1891 car l’ordre est enfin venu aux pères d’évacuer Mponda et de se replier sur le Tanganyka.

Le 23 février 1892 il est de retour à Alger, à Maison Carrée et le 2 mars il est nommé second aumônier de St Charles.

En septembre de la même année il repart pour une nouvelle destination, le poste de Ouadhias en Kabylie.

Le R P Duchêne écrit " Le Père Heurtebise qui jetait toujours des regards d’envie du côté de la mission du Nyassa, que la maladie l’avait obligé de quitter, demanda à y retourner; son désir ne fût pas exaucé mais le 15 avril 1893 il reçoit sa nomination comme Supérieur de l’école apostolique de Saint Laurent d’Olt ".

Ce séminaire est un ancien château situé au cœur de l’Aveyron.

Septembre 1894 c’est sa nomination pour la Procure de Marseille au 18 de la rue d’Alger. " La première caravane dont il eut à préparer le départ fut aussi la première que le R P Hacquard  conduisit au Soudan. Elle quitta Marseille le 25 décembre 1894 ".



St Joseph de Thibar (Tunisie)


Le 16 février 1896, il revient à Notre Dame d’Afrique à Alger et en septembre il prend la direction de la jeune communauté de Saint Joseph de Thibar en Tunisie. Seuls quelques murs non terminés l’attendaient. La communauté de Thibar est d’une grande importance pour les Pères Blancs.

Pour mener à bien sa tâche, le  Père Heurtebise y oeuvra durant 7 ans, du 12 septembre 1896 au 24 août 1900 et du 22 août 1901 au 10 juin 1904.

Dans sa biographie, un de ses confrères écrit : « Le Père Heurtebise a été le véritable organisateur de la colonie agricole de St Joseph presque à ses débuts. Rien ne lui a échappé : ni l’exploitation agricole du domaine, ni la marche de la communauté, ni la direction des Frères, ni l’action apostolique auprès des indigènes, ni même les recherches archéologiques sur l’ancienne ville romaine des Thibaritains, ce qui lui valut d’être nommé "Officier d’Académie" .

Effectivement dans le bulletin archéologique du comité des travaux historiques et scientifiques de l’année 1902 on peut lire le rapport suivant :

« M Héron de Villefosse a reçu du R P Delattre pour être communiqué à la Commission de l’Afrique du Nord une inscription découverte à Thibaris au mois de mars 1902 par le R P Heurtebise. Cette découverte mérite d’être signalée sans retard. Le texte a été gravé entre l’année 287 date du 3ème consulat de Dioclétien et l’année 290, date de son 4ème consulat.».

Une parenthèse pour rappeler la liqueur de dattes crée par les Pères Blancs et qui se nomme la Thibarine. Un commentaire : avec un autre statut, St Joseph de Thibar est de nos jours la référence de l’enseignement agricole Tunisien.

Juin 1904 le Père Heurtebise devient pour un an chef d’exploitation à la Société de l’Harrach à Maison Carrée (Algérie). Mais il ne peut rester en place. Il est infatigable. Une photo de 1907 nous le montre entouré de cinq Pères en partance pour l’Afrique, je suppose, l’Ouganda.



Des postes de confiance

Pendant 22 ans il continuera d’occuper des postes de confiance. Il sera second aumônier de Saint Charles chez les Sœurs Blanches, de nouveau, Supérieur de la procure de Marseille puis il embarque pour l’Ouganda ou il remplit les fonctions d’économe général du Vicariat. Rentré à Maison Carrée en avril 1909, il  reprend  la  Trésorerie de la Maison Mère à Alger et collabore au même service à Autreppe (Belgique)  où la Société avait acquis en 1905 un château pour le transformer en sanatorium.

D’octobre 1911 à octobre 1912 il est à Québec pour organiser le service de comptabilité.


10 novembre 1907, nouveau départ pour l’Afrique.  Père Heurtebise debout au milieu

Le Père Heurtebise prend la Direction du Noviciat des Frères Coadjuteurs à Sainte Marie (Maison Carrée, Alger), en août 1912.

Valentin a la tristesse de fermer en 1916 le Noviciat Sainte Marie, réquisitionné par l’armée, c’était la guerre, et il transporte le Saint Sacrement à la chapelle de la Maison Mère.

En octobre 1926 il regagne l’Afrique et revoit les montagnes de Kabylie en étant nommé supérieur de Djemaa-Saharidj. Le Père Petibou témoigne par des paroles telles que "Il donnait les soins aux malades, il rendait visite au village de Djemaa et d’autres villages éloignés, d’où il revenait mourant de soif. Il allait dans les villages contaminés par la vérole, partout il était reçu comme un bienfaiteur et se montrait comme un saint missionnaire".

En 1928 à 64 ans il arrive à Fort-National en Kabylie, il y restera 5 ans. Le 22 juillet 1932 il quitte Fort National pour venir chercher au sanatorium de Maison Carrée un repos bien mérité mais qui ne rétablit pas sa santé.

Le 17 décembre il traverse la Méditerranée  pour la dernière fois et rejoint la maison de retraite des Pères Blancs à Billère près de Pau.

Le dimanche 15 janvier 1933, face aux Pyrénées, Dieu le reprend. Il avait  70 ans.
 


Notre enrichissement

Réaliser des recherches et  s’immerger dans les archives ne peut que vous faire vivre une aventure et lorsque vous rencontrez un personnage tel que Valentin, l’aventure se transforme en histoire. C’est l’Histoire. Nous avons découvert l’homme mais aussi l’histoire de l’Afrique, de l’époque romaine à nos jours en passant par l’invasion arabe et la colonisation. Valentin a tellement voyagé que nous avons, nous aussi, voyagé et approfondi nos connaissances de l’Aveyron au Nyassa, du Québec à Marseille, d’Alger à Thibar et de la Belgique au Burkina-Faso.

Nous avons découvert la mission des Pères Blancs et  son fondateur Mg Lavigerie qui disait : " Régénération de l’Afrique par les Africains eux-mêmes. La christianisation n’inclut nullement en elle-même l’européanisation : elle ne doit pas conduire à former des Européens à peau noire devenus finalement des étrangers aux yeux de leurs compatriotes ".

Nous avons aussi une meilleure connaissance du contexte de l’époque ; la politique française et internationale, l’implantation de l’islam et ses conséquences, l’esclavagisme orchestré par les africains eux mêmes, le colonialisme, les famines, la misère, les conditions d’hygiène et de santé de la population africaine.

Une découverte parmi tant d’autres ; l’engagement de ces prêtres pour un meilleur monde et une conséquence de leur condition d’existence, à l’époque de Valentin,  leur espérance de vie était en moyenne de 35 ans.

On a de quoi être admiratif devant la destinée de ces hommes et quelle fierté que de pouvoir évoquer le nom d’une personne appartenant à la Société des Pères Blancs, Missionnaires d’Afrique.

Valentin Joseph Heurtebise et la généalogie, merci !

                                                                                                                      Yvon Técheney
 

 

Tous droits réservés - Copyright 20120 Urtxoko