Valentin Heurtebise, Père Blanc, Missionnaire d’Afrique |
Cette fois, je vous présente une nouvelle aventure extraite de ma chronique familiale « A la croisée des chemins » qui va sûrement vous donner envie de persévérer ou de commencer des recherches. C’est un aïeul bien caché, un aïeul dont vous ne connaissiez pas l’existence, qui ne se marie pas, qui n’a pas d’enfant et qui ne meurt pas. L’aïeul par définition " énervant ", mais pas n’importe quel aïeul.
Mon arrière
grand-père maternel est bien identifié ; Stéphane Placide René
Heurtebise né à Noyen dans la Sarthe.
Nous demandons
à consulter la fiche d’incorporation et nous découvrons que ses parents
sont bien René Heurtebise et Zoé Chauvin et le mystère s’éclaircit. « Il
est dégagé des obligations militaires étant entré dans les ordres
majeurs le 16 septembre 1886 à Alger ».
La révélation
Groupe des novices Pères Blancs en 1883, Valentin Heurtebise assis 4ème en partant de la gauche
Une fois de plus c’est la révélation, le Père Valentin
Heurtebise est là, devant moi, et je le découvre au noviciat en 1883,
puis en partance pour le Nyassa en 1889, St Joseph de Thibar en 1898, en
1907 c’est le départ pour l’Ouganda. Les photos sont de très bonne
qualité. J’ai de la chance et une fois de plus la persévérance vient de
payer et je remercie les Pères Blancs de tout mon cœur car grâce à leurs
archives, leur classement, la culture du souvenir et leur gentillesse,
je peux enfin mettre un visage sur Valentin Joseph Heurtebise.
Missionnaire au Nyassa
Rapports Annuels de la Société 1889 : Le 14 mai 1889 notre Très Vénéré Père Lavigerie annonce que le Père Heurtebise et le Frère Antoine sont nommés pour le nouveau poste au Nyassa, le 17 mai sont connus les noms de ceux qui sont choisis pour compléter la caravane, ce sont les Pères Lechaptois et Mercui, le frère Chrétien et le 18 mai le Père Heurtebise est remplacé par le RP Lévesque dans sa fonction d’économe. Le Révérend Père Mercui, dans son volume Les origines de la Société, indique que rarement des missionnaires envoyés en pays inconnu eurent autant à souffrir. Ils manquaient de tout, la quinine s’était épuisée et ils ne pouvaient plus combattre la fièvre. Les pauvres Pères sont confinés sur les bords du Shiré où pullulaient les anophèles. Le Père Heurtebise est administré trois fois, échappant à la mort il est rapatrié en 1891 car l’ordre est enfin venu aux pères d’évacuer Mponda et de se replier sur le Tanganyka. Le 23 février 1892 il est de retour à Alger, à Maison Carrée et le 2 mars il est nommé second aumônier de St Charles. En septembre de la même année il repart pour une nouvelle destination, le poste de Ouadhias en Kabylie. Le R P Duchêne écrit " Le Père Heurtebise qui jetait toujours des regards d’envie du côté de la mission du Nyassa, que la maladie l’avait obligé de quitter, demanda à y retourner; son désir ne fût pas exaucé mais le 15 avril 1893 il reçoit sa nomination comme Supérieur de l’école apostolique de Saint Laurent d’Olt ". Ce séminaire est un ancien château situé au cœur de l’Aveyron. Septembre 1894 c’est sa nomination pour la Procure de Marseille au 18 de la rue d’Alger. " La première caravane dont il eut à préparer le départ fut aussi la première que le R P Hacquard conduisit au Soudan. Elle quitta Marseille le 25 décembre 1894 ".
Pour mener à bien sa tâche, le Père Heurtebise y oeuvra durant 7 ans, du 12 septembre 1896 au 24 août 1900 et du 22 août 1901 au 10 juin 1904. Dans sa biographie, un de ses confrères écrit : « Le Père Heurtebise a été le véritable organisateur de la colonie agricole de St Joseph presque à ses débuts. Rien ne lui a échappé : ni l’exploitation agricole du domaine, ni la marche de la communauté, ni la direction des Frères, ni l’action apostolique auprès des indigènes, ni même les recherches archéologiques sur l’ancienne ville romaine des Thibaritains, ce qui lui valut d’être nommé "Officier d’Académie" . Effectivement dans le bulletin archéologique du comité des travaux historiques et scientifiques de l’année 1902 on peut lire le rapport suivant : « M Héron de Villefosse a reçu du R P Delattre pour être communiqué à la Commission de l’Afrique du Nord une inscription découverte à Thibaris au mois de mars 1902 par le R P Heurtebise. Cette découverte mérite d’être signalée sans retard. Le texte a été gravé entre l’année 287 date du 3ème consulat de Dioclétien et l’année 290, date de son 4ème consulat.». Une parenthèse pour rappeler la liqueur de dattes crée par les Pères Blancs et qui se nomme la Thibarine. Un commentaire : avec un autre statut, St Joseph de Thibar est de nos jours la référence de l’enseignement agricole Tunisien. Juin 1904 le Père Heurtebise devient pour un an chef d’exploitation à la Société de l’Harrach à Maison Carrée (Algérie). Mais il ne peut rester en place. Il est infatigable. Une photo de 1907 nous le montre entouré de cinq Pères en partance pour l’Afrique, je suppose, l’Ouganda.
Pendant 22 ans il continuera d’occuper des postes de confiance. Il sera second aumônier de Saint Charles chez les Sœurs Blanches, de nouveau, Supérieur de la procure de Marseille puis il embarque pour l’Ouganda ou il remplit les fonctions d’économe général du Vicariat. Rentré à Maison Carrée en avril 1909, il reprend la Trésorerie de la Maison Mère à Alger et collabore au même service à Autreppe (Belgique) où la Société avait acquis en 1905 un château pour le transformer en sanatorium. D’octobre 1911 à octobre 1912 il est à Québec pour organiser le service de comptabilité.
Le Père Heurtebise prend la Direction du Noviciat des Frères Coadjuteurs à Sainte Marie (Maison Carrée, Alger), en août 1912. Valentin a la tristesse de fermer en 1916 le Noviciat Sainte Marie, réquisitionné par l’armée, c’était la guerre, et il transporte le Saint Sacrement à la chapelle de la Maison Mère. En octobre 1926 il regagne l’Afrique et revoit les montagnes de Kabylie en étant nommé supérieur de Djemaa-Saharidj. Le Père Petibou témoigne par des paroles telles que "Il donnait les soins aux malades, il rendait visite au village de Djemaa et d’autres villages éloignés, d’où il revenait mourant de soif. Il allait dans les villages contaminés par la vérole, partout il était reçu comme un bienfaiteur et se montrait comme un saint missionnaire". En 1928 à 64 ans il arrive à Fort-National en Kabylie, il y restera 5 ans. Le 22 juillet 1932 il quitte Fort National pour venir chercher au sanatorium de Maison Carrée un repos bien mérité mais qui ne rétablit pas sa santé. Le 17 décembre il traverse la Méditerranée pour la dernière fois et rejoint la maison de retraite des Pères Blancs à Billère près de Pau. Le dimanche 15
janvier 1933, face aux Pyrénées, Dieu le reprend. Il avait 70 ans.
Réaliser des recherches et s’immerger dans les archives ne peut que vous faire vivre une aventure et lorsque vous rencontrez un personnage tel que Valentin, l’aventure se transforme en histoire. C’est l’Histoire. Nous avons découvert l’homme mais aussi l’histoire de l’Afrique, de l’époque romaine à nos jours en passant par l’invasion arabe et la colonisation. Valentin a tellement voyagé que nous avons, nous aussi, voyagé et approfondi nos connaissances de l’Aveyron au Nyassa, du Québec à Marseille, d’Alger à Thibar et de la Belgique au Burkina-Faso. Nous avons découvert la mission des Pères Blancs et son fondateur Mg Lavigerie qui disait : " Régénération de l’Afrique par les Africains eux-mêmes. La christianisation n’inclut nullement en elle-même l’européanisation : elle ne doit pas conduire à former des Européens à peau noire devenus finalement des étrangers aux yeux de leurs compatriotes ". Nous avons aussi une meilleure connaissance du contexte de l’époque ; la politique française et internationale, l’implantation de l’islam et ses conséquences, l’esclavagisme orchestré par les africains eux mêmes, le colonialisme, les famines, la misère, les conditions d’hygiène et de santé de la population africaine. Une découverte parmi tant d’autres ; l’engagement de ces prêtres pour un meilleur monde et une conséquence de leur condition d’existence, à l’époque de Valentin, leur espérance de vie était en moyenne de 35 ans.
On a de quoi être admiratif devant la destinée de ces
hommes et quelle fierté que de pouvoir évoquer le nom d’une personne
appartenant à la Société des Pères Blancs, Missionnaires d’Afrique.
Yvon Técheney |