Nanard le Gringalet...

 
 

Chez les MARCHAND on naît costaud et exerce le métier de maréchal-ferrant de père en fils.
C'est vers 1730 que l'on trouve le "pionnier" à Saint Valéry sur Somme, puis il s'installe à Butelles au sud de la baie. Bien entendu il incombe à l'aîné de reprendre l'activité du père (pour ses frères, qui aussi ont été formés dès leur plus jeune âge, ils seront maréchal dans la commune voisine). Et ce sera ainsi pendant plus de 6 générations.
Vers 1870, pour Joseph et son épouse Maria la vie est difficile, ils ne vivent pas dans la misère, mais sont pauvres car le travail est aléatoire dans cette région récemment conquise sur la mer, où le climat y est vif. Alors pour rendre leur vie plus supportable, les enfants aident aux taches de la forge ou mieux, chez les voisins fermiers pour se faire payer en nature contre un petit travail.
Quand Léonard vient au monde en 1873, cinquième de la famille, le père voit très vite qu'il ne sera pas maréchal car il était petit et chétif, un gringalet. Peu importe, l'aîné était déjà en situation de successeur.
Vers 7 ans NANARD se fatiguait vite en activant le soufflet de la forge, la famille lui diagnostiquait une courte espérance de vie.
Vers 10 ans NANARD passionné par tout ce qu'il apprenait en classe, était devenu le premier. Mais il ne participait plus assez à l'aide familiale car il allait trop assidûment à l'école, contrairement aux mœurs de l'époque; de plus il "débauchait" ses 2 aînés du travail familial en les entraînant aussi à l'école. Il n'allait pas dans le sens des intérêts du père Joseph! La situation ne pouvait durer d'autant plus que NANARD ne servirait à rien à la maison et que les parents ne pouvaient imaginer lui faire continuer l'école au-delà de la primaire et pour faire quoi?, maître d'école?.
Le train installé vers 1870 pour relier Calais à Paris et qui s'arrêtait à Noyelles sur Mer pour desservir la baie, allait changer sa vie. Dès 1885 sa sœur aînée Berthe était "montée" à Paris et avait trouvé un emploi de bonne, elle envoyait un peu d'argent à ses parents et écrivait quelques lettres que NANARD s'empressait fièrement de lire à toute la famille et il lui incombait d'y répondre lui-même.

A 15 ans en 1888, il eut la bonne surprise de voir son père lui donner de l'argent pour qu'il aille vivre chez sa sœur à Paris, il trouva vite un emploi chez un pharmacien pour faire commis du laboratoire, puis quand il commença à connaître le quartier il devint livreur à domicile. Mais NANARD avait d'autres ambitions.

En 1891, passé ses 18 ans, il s'engagea dans l'infanterie pour 4 ans afin de mieux gagner sa vie et surtout pour bénéficier à sa sortie d'un emploi de fonctionnaire, réservé aux sous officiers. Vu sa petite taille 1,59m il faillit ne pas être retenu, mais sa bonne forme physique et son niveau scolaire le sauva.
En 1895 à sa sortie, il se retrouva recruté par la poste où il exercera tous les métiers pour choisir plus tard le tri ambulant dans la liaison de nuit Paris / Besançon, il terminera sa carrière à Paris comme chef de service d'un centre de tri.
Il eut la chance de ne pas participer à la guerre 14/18 car il était bien trop âgé.

Retraité de la poste vers 1928 et toujours en pleine forme, il rentra dans une compagnie d'électricité parisienne (qui fut plus tard intégrée à EDF) pour un emploi de confiance "releveur de compteur et encaisseur" ceci jusqu'en 1933 qu'il dut quitter pour ses 60 ans. C'est "la compagnie de gaz" qui lui permit de travailler jusqu'à la déclaration de guerre de 1939 pour y exercer le même métier.

A 66 ans NANARD pensa sérieusement à sa retraite et s'installa avec son épouse dans un petit pavillon de banlieue où il prit le temps de répondre à sa grande passion: la lecture des grands auteurs. Pour avoir un grand choix de lecture, il était inscrit à 3 bibliothèques. Vers 1955 il ne savait plus quoi lire dans les classiques et les contemporains, il se mit à lire des policiers, des livres de voyages ainsi que des méditations politiques et historiques.
Son épouse disparut en 1967 cela marqua le tournant de la paisible retraite, il termina ses jours chez ma mère, sa petite nièce, en baie de Somme, près de ses racines, il mourut en 1973 à quelques mois avant ses 100 ans. Pas mal pour un gringalet§.

P.S. c'est avec son témoignage que j'ai monté le premier arbre descendant de sa fratrie, j'avais 12 ans.
Maintenant en retraite moi-même, je me suis mis à la généalogie (et à la lecture de l'histoire) ceci me procure la satisfaction d'être un passeur de la mémoire de l'histoire.

 

 

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