Le  marchand  d'encre

 

(Extrait des petites industries de la rue de Léon Malu - 1908)
                                                                                                       
 

De toutes les petites industries qui donnaient au XIXème siècle, un aspect si pittoresque aux rues de Paris et dans bien d'autres cités, et qui ont disparu sans laisser de traces, celle du marchand d'encre ambulant était une des plus curieuses.
C'était en même temps une des plus anciennes, puisque les différentes séries des Gris de Paris, publiées à diverses époques depuis le XVIIème siècle, nous montrent plusieurs types de ces intéressants commerces, dont la plupart, portaient leur marchandise dans un petit tonneau qu'ils plaçaient sur leur dos ou qu'ils tenaient  suspendu à côté au moyen d'une courroie.

Cette " encre nouvelle " était probablement l'encre de la petite vertu qui daterait de 1609, s'il faut en croire l'enseigne du magasin où elle était encore débitée jusqu'à la fin du XIXème siècle, et qui pendant plus de deux siècles, fut généralement regardée comme la meilleure des encres.

" GUYOT, rue du Mouton, près la Grève, dit l'Almanach Dauphin pour l'année 1777, tient la plus ancienne fabrique d'encre indélébile qui existe en Europe, connue depuis près de deux siècles sous le titre d'Encre de la petite vertu; il fait des envois considérables à l'étranger, dont il s'est assuré la confiance par une réputation justement méritée et constamment soutenue ".

On vendait également d'autres encres, appelées, suivant leur composition, encres doubles ou simples; les premières étaient faites avec du "vitriol, de la noix de galle et de la gomme"; les secondes, "avec du sumac, du campêche et du tan"; mais toutes, il faut bien le reconnaître, étaient d'assez mauvaise qualité et ne valaient pas à beaucoup près, celles dont se servaient les copistes du moyen âge.
Certains manuscrits, le Virgile du Vatican (IVème siècle) et tous les manuscrits du XIIIème siècle principalement, ont été écrits avec des encres qui ont bravé l'action destructrice du temps et qui ont conservé leur vigueur et leur netteté, alors que celles du XVIIème et du XVIIIème siècle se sont effacées, ont jauni de façon à rendre l'écriture à peu près illisible ou ont si bien brûlé le papier que tout ce qu'elles ont touché a été pulvérisé et comme découpé à l'emporte pièce.

Quelques écrivains cependant préparaient leur encre eux-mêmes d'après des formules particulières, et, généralement, ces encres ont assez bien résisté.
Un savant membre de la Société des Bibliophiles, M. le PREVOST, a retrouvé et publié la recette de l'encre dont se servait Tannegui LEFEVRE (1615 - 1672), latiniste érudit et délicat, recette qu'il avait formulée soigneusement sur un exemplaire de Térence, édition de Leyde (1644), annoté de sa main.
Voici la recette :
" Prenez, dit Tanneguy LEFEVRE, demi-livre de casse, trois chopines de vin de vin blanc, plein la moitié d'une coque de noix de gomme en poudre; on ne la verse dans le liquide que lorsqu'il est diminué de deux doigts. demi-quarteron de couperose rose, laquelle on fait fondre sur une pelle rouge; on ne l'introduit dans le mélange qu'après qu'il est réduit de moitié par ébullition à petits bouillons; à partir de cette injection, on ne le fait plus bouillir, mais on le tient près du feu et on on le mouve avec un bâton de figuier.
Après cette manipulation, la confection de l'encre est terminée, et il n'y a plus qu'à la filtrer toute tiède dans un linge
".

Il faut signaler également à titre de curiosité, et pour montrer que certaines inventions, prétendues récentes, remontent souvent assez loin dans les temps passés, " les encriers économiques ", qui fournissaient, dit la Notice de l'Almanach sous verre pour 1777, la meilleure encre possible pendant l'espace de dix à douze ans, en y administrant simplement quelques gouttes d'eau, par le sieur MARCHAND, négociant. Cette encre est d'un plus beau noir, très fixe, bien luisante, et se sèche à l'instant ". Ces encriers inépuisables se trouvaient " chez le sieur POCHET, marchand mercier, rue du Four-Saint-Germain, près celle de l'Egout".

Un dessin de MARLET, représente un marchand d'encre très pittoresque, la note qui accompagne ce dessin explique :
" Il parcourt tous les quartiers de Paris, on le rencontre partout, sa tête n'est jamais couverte, quelque soit la saison; ses cheveux sont courts et hérissés. De bruyantes sonnettes et son cri non moins discordant annoncent son passage aux consommateurs. Un âne porte son magasin ambulant. A la couleur de ses mains, à l'enluminure de ses traits, on reconnaît l'inséparable compagne de ce frabriquant, fournisseur ordinaire des écoliers et des écrivains en échoppe ".

Après ses quelques lignes qui je l'espère nous feront mieux comprendre la façon dont vivait nos ancêtres avec les priblèmes de leur époque, cher amis généalogistes, vous avez certainement, comme moi, consulté moult documents, actes ou archives et éprouvé certaines difficultés de lecture.
Nous ne sommes pas toujours patients voire tolérants, nous qui vivons dans un monde de facilités techniques, monde ou il suffit de prendre son stylo à bille ou à plume, de faire une action à l'ordinateur pour que l'imprimante se mette en marche en noir et blanc ou en couleur, au choix, de choisir la police, le format, le style en fonction du texte.
Alors prenez le temps et redécouvrez ou découvrez, le plaisir de " gratter du papier " avec une plume sergent major et de l'encre de qualité pour personnaliser vos recherches.
Cultiver les us et coutumes de nos pères ne veut pas dire tourner le dos au modernisme.

 

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