Les " culs-terreux " de Lamothe

 

Vus par le poète Gabriele d'Annunzio (1)

           " Avais-je projeté d'écrire un livre dans ma langue d'exil, amère et éternelle comme la résine, là-bas, parmi les forêts de pins, le long des dunes sinueuses où le sable semblait se mélanger à une poussière nacrée ?."

" Me voici dans une petite Gare qui porte le nom d'un maréchal, d'un érudit, d'une aventurière célèbre : Lamothe. Je suis seul, dans l'ennui de l'attente indéfinie. (2)
              Le train de marchandises grince sur les rails, bouge, recommence, s'arrête, a des difficultés. Les misérables culs-terreux ne sont plus vivants à mes yeux  que la vieille voie avec ses barrières déplacées et sa ferraille rouillée..."

" Je marche le long des rails. Est-ce que je cherche le noeud de Salomon ?. "
          " Je me retourne; je m'approche des paysans, afin qu'ils m'insufflent leur patience. Ils semblent taillés dans la patience, de la tête aux talons.
               Je souris à leur stupeur obtuse face à mes yeux voraces. Tout m'est nouveau. Les bérets enfoncés sur leur crânes ont pris une forme qui ne ressemble à aucune autre, immuable, comme la figure classique du pétase, du casque, du pschent.
(3)

Quelques femmes tiennent un filet, un sachet en tricot. [...   ..]quelle peine me font ces mains velues, quelques-unes malades et couvertes de plaies, d'autres tordues et usées comme des masses.

Cinq ou six porteurs poussent une voiture noire comme un cercueil. L'un d'entre eux [...] se penche vers son camarade...il lui dit queque chose de drôle ou d'odsène. L'autre éclate de rire. Toute la chaîne rit, avec différentes expressions et une grossièreté empoisonnée par l'eau-de-vie"

" Un groupe d'ouvriers s'avance sur le trottoir, leurs bérets aussi ont la forme de leurs crânes, mais avec quelque chose du morion, d'une calotte. Ils portent des pantalons de velours serrés aux chevilles et des ceintures rougeâtres, leurs visages poussiéreux semblent tailladés par le sourire des dents, l'insolence singe la révolte.
             Ils n'épargnent pas une femme maigre, épuisée à l'âge incertain, habillée comme une putain nomade, mal maquillée de rouge et de brun, à la fois poule mouillée et paon déplumé.

" Les trains "rapides" traversent l'humble gare (4) avec un fracas superbe, sans s'arrêter, bourrés de gens pressés;.. "

" Au fond d'une tonnelle recouverte de petites roses jaunes il y a une courette sale, où s'accumulent de vieilles caisses. La ménagère prépare le repas sous un chapelet d'oignons."
           " De quelle fable sans foyer sort donc cette fée d'épouvante ? c'est une vielle osseuse; un rouet sans quenouille, avec une coiffe bizarre qui ombrage son visage osseux, où brillent des yeux aux couleurs changeantes, des jamais vus dans une destinée humaine, des yeux extraordinaires, un regard plus profond que lointain. Je ne fuis pas, je me noie dans un puits de crime."

" Et je continue de vivre, dans l'étude, dans la volupté, dans le mépris : à la fois plus monstrueux que le monstre et aussi linaire que la perfection. "

 

          (1) Gabrielle d'Annunzio poète italien 1863-1938 a séjouné en France entre 1910 et 1915 avec de longs séjours à Arcachon, afin d'échapper à la fois à ses créanciers et à ses Amours parisiennes tumultueuses. Il repart pour l'Italie le 3 mai 1915. Dans sa retraite du Moulleau il écrit : "La leda sans cygne" et "La contemplation de la mort" ainsi que 3 pièces de théatre dont "Le martyre de Saint Sébastien".

           (2) Lors d'un voyage de retour de Paris, en 1912, G. d'Annunzio est containt de faire halte à Lamothe afin d'attendre sa correspondance pour Arcachon.

            (3) Coiffure des pharaons.

          (4) " La gare de Lamothe est actuellement une des plus considérables de la ligne. Le bâtiment principal dans lequel sont les bureaux, les salles d'attente, le poste télégraphique est d'une élégance gracieuse. Les six petits chalets rangés derrière ce bâtiment servent à loger le personnel assez nombreux employé dans cette gare". Oscar Déjean (Arcachon et ses environs 1858).

Bibliographie :   Albert Londres : d'Annunzio conquérant de fiume
                                Philippe Jullian : d'Annunzio
                                Robert Fleury : Marie de Régnier
                                D. Lormier : Gabriele d'Annunzio en France 1910.1915
                                Extraits : Gabriele d'Annunzio : le livre secret

     

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