L'Odyssée de mon grand-père

 

Jean  PECHILLON

(Déjà diffusé dans la revue N° 57 de Généalogie Pyrénées Atlantiques, publié avec l'autorisation de son auteur).
 

Ceci est l'histoire de mon grand-père. Il ma l'a contée souvent.

 
En 1872 naquit Jean LAUILHEROU dans un petit village du Béarn Saint Armou. Son père Thomas LAUILHEROU dit SARRE  était cantonnier et sa mère Suzanne née SUZAA tisserande.
Sa vie semblait toute tracée : il restait au village, serait berger ou cultiverait la terre... des autres.
Pauvre et sans avenir, il rêvait de lointains voyages. A quinze ans, il quitta son pays natal et, je ne sait comment, il arriva à La Teste sur le Bassin d'Arcachon.
Dans le quartier il trouva du travail chez un des premiers ostréiculteurs qui l'avait accueilli chez lui car ce jeune homme honnête et travailleur rendait bien des services.
Il effrayait un peu une petite fille, une brunette de 5 ans, qui allait devenir ma grand-mère.
Il venait rêver sur le port et son envie de naviguer devint une passion.
Il commença comme mousse sur les violiers qui promenaient les nouveaux estivants puis les chalutiers l'entraînèrent vers le large. Dur pour un mousse à qui on réservait toutes les tâches ingrates, mais pas assez pour décourager ce petit béarnais de 1.66m.
Courageux, dur au mal, ambitieux, il commença ainsi sa vie de marin et allait devenir "Petit Jean" si bien que personne ne connaissait vraiment son nom.
Après son service militaire à Lorient, il se maria et cette responsabilité lui donna envie de faire mieux. Avec son ami Fernand, il se rendit à Bordeaux pour suivre les cours de patron de pêche.
Cette rage d'apprendre en fit un patron très recherché et il fut appelé à commander les nouveaux chalutiers à vapeur. Une campagne de pêche à cette époque durait environ un mois et les emmenait sur les côtes d'Irlande ou du Maroc aux confins du Sahara.
Ces lieux de pêche encore peu fréquentés permettaient des pêches miraculeuses de poissons nobles et de grande valeur marchande.
En 1908, cette année-là, Petit Jean se vit confier un beau bateau tout neuf, La Baleine.
Après avoir essuyé une forte houle dans le golfe de Gascogne, il longea les côtes du Portugal et du Maroc et arriva au large de la Mauritanie, descendit jusqu'à Dakar et remonta. L a navigation se faisait aux instruments mais évidemment pas au radar ni au sonar.
A la hauteur de Cap Juby, l'endroit était réputé dangereux car les bancs de sable s'y déplacent au gré des vents et des courants; d'ailleurs en ces lieux et en d'autres temps le banc d' Argun avait déjà inscrit Méduse et son radeau.

La Baleine s'était engagée dans un étroit passage, mais la pêche était déjà bonne et aucun danger ne rebutait ces marins encore un peu corsaires ! Mais tout à coup, ce fut le choc, le bateau s'immobilisa, une voie d'eau s'était déclarée. Petit Jean décida de mettre les canots à la mer et de regagner le rivage inhospitalier. C'était le désert à perte de vue, il décida alors d'installer un camp pour la nuit.
Au petit jour, ils étaient entourés par des arabes qui les firent prisonniers car les Maures dissidents en rébellion contre le roi du Maroc voulaient profiter de cette aubaine pour demander une rançon. Mais les nomades avertis qu'un navire de guerre français croisait dans les parages prirent la décision de se déplacer vers un ancien fort portugais.
L'équipage "libre" le jour subvenait à ses besoins, mais la vie n'était pas facile : le menu, poisson cru et orge pilé commençait à lasser les hommes. Avisant une construction en bois, ils entreprirent de récupérer des planches pour faire un bon feu. Mal leur en prit, cette construction était un monument funéraire qui faillit leur coûter la vie.
Enfin localisés par le croiseur "Le Cassard", ils furent libérés et ramenés à Tanger. Embarqués vers la Tunisie, ils regagnèrent la France par Marseille et ils furent stupéfiés de l'accueil qui les attendaient à Arcachon.
 


 

 Au Cap Juby


L'équipage du chalutier "Baleine" capturé par les Maures est délivré par les matelots du "Cassard"

(Extrait du Petit Journal Illustré, 1908)

1914 : la guerre ... Les Allemands essaient de perturber le ravitaillement des troupes alliées en Méditerranée. La France rappelle ses réservistes et Petit Jean part pour les Balkans sur un dragueur de mines. L'expérience de ces hommes de la mer fait merveille dans ce travail de tous les dangers.
Il retourne à Arcachon en 1918 et son ami Fernand, partant pour La Rochelle l'entraîne dans une nouvelle aventure.

Après quelque campagnes vers l'Islande et Terre Neuve, il décida de raccrocher. Comme il disait souvent sa "vie de marin, vie de chien" se termina par l'achat d'un petit café face à la mer. Tous les jours, il voyait passer ses copains, les reconnaissant de loin au son de la sirène et au bruit du moteur.
Il lui arrivait de partir avec eux car l'aventure était encore dans la tête.

Sources :
  Souvenirs personnels.
Article intitulé " L'un des derniers naufragés de La Baleine a disparu avec M. Albert RUSTIQUE " paru dans le Courrier Français de juillet 1953 et comportant la liste de l'équipage naufragé :
LAULHEROU, ROUSSEAU, RUSTIQUE, LAFON, DIEU, CASTAING, Ch. DUPUY, LEJEUNE, LABOUYRIE, BARRAN, ROCHEREAU, PEYROUNAT, CARDINAL, GROSSELIN, J. DUPUY, MIGEON, LE PAN, LABORIE, CHARTIER (la lecture difficile peut être cause d'erreurs dans cette liste) ainsi qu'une illustration du Petit journal illustré de 1908 représentant leur libération, inexacte d'après le texte car ils sont représentés habillés alors qu'ils étaient, paraît-il, complètement nus !
Le caïd Hassein reçut pour toute rançon 50 sacs de farine pour la nourriture donnée aux hommes ...
Autre version : intervention d'un lord anglais, MOUNTMORNESSON  Morris offrant 50000 livres mais gardant en otages des notables marocains.
 

Tous droits réservés - Copyright 2020 Urtxoko