Dès les premiers mois de la Révolution, des
associations d’un type nouveau apparaissent dans toute la France. Fin
1789, dans au moins 21 villes de France, ces sociétés, ces associations,
que l’on appelle club, réunion, société patriotique, sont devenues des
Sociétés des Amis de la Constitution. Le mouvement de développement se
précipite, fin 1790, elles sont présentes dans au moins 300 communes.
Fin 1791, elles sont 1100, le mouvement se poursuit, au plein cœur de
l’an III (1793-1794), sous le nom de sociétés populaires. On a des
associations qui sont présentes dans plus de 5500 communes, ce qui a
permis de parler d’une toile ayant recouvert le territoire. Les noms ont
beaucoup varié, mais au delà de cette diversité de nom, elles ont toutes
un point commun, lors de leur réunion, on discute des affaires
politiques de l’heure. Ces sociétés sont devenues un des haut lieu de
l’apprentissage de la politique sous la Révolution.
I- La naissance et le développement des sociétés
politiques, 1789-1792
Sans vouloir tomber dans le piège des origines, on
peut quand même se demander quelles sont les origines de ces sociétés
politiques.
A) Les origines
Parmi les premières dénominations, il en est une
qui nous met sur la piste : le club, il est d’origine anglaise, il est
utilisé d’abord en Angleterre au XVIIIe siècle, puis en France, pour
désigner des sociétés qui se réunissent régulièrement, exemple : le
" Club de l’Entresol ". Pour y entrer, il faut payer une cotisation, il
faut être présenté, avoir un parrain. Il y en France, d’autres types de
sociétés. Il y a les Académies, autorisées par la monarchie, les
Académies de province sont créées par lettres patentes royales ; il y a
les sociétés de lecture, des sociétés secrètes et clandestines, exemple
la franc-maçonnerie. Il est difficile de faire l’affiliation entre
franc-maçonnerie et les sociétés politiques qui vont se développer sous
la Révolution.
Les membres des divers sociétés vont constituer,
en règle générale, le noyau des premiers clubs révolutionnaires. A la
veille de la Révolution, il y a un véritable réseau de sociabilité.
B) Comment se fait la
transition ?
Les Etats Généraux se réunissent à Versailles, les
députés venant de Bretagne prennent l’habitude de se retrouver le soir
dans un café de Versailles avant les séances de l’Assemblée. Début mai,
on parle à Versailles d’un club breton. Des députés d’autres régions les
rejoignent, et on y voit rapidement des têtes d’affiches comme Bailly,
Robespierre, Mirabeau, Sieyès, etc … . Des clivages se forment. Les
journées d’Octobre 1789, voient le retour du roi à Paris, l’Assemblée
s’installe à Paris, le club breton également. Le club est réservé aux
députés, mais ils accueillent des non députés comme Condorcet, David,
etc … .
Le club prend une très grande importance, il
change de nom, il devient la " Société des Amis de la Constitution " qui
sera beaucoup plus connu sous le nom de " Club des Jacobins ", du fait
du manque de place, la société va louer le réfectoire du couvent des
Jacobins à Paris. Pour autant, c’est un club très fermé, il y a une
cotisation de 24 £ / an. On y trouve donc que les citoyens dit actif,
des représentants de la bourgeoisie aisée. Ce " Club des Jacobins " va
connaître une cission au moment de Varennes, car cette fuite engendre
des débats politiques très importants au sein du club, une discussion
très vive se déroule. Les "partisans" de Louis XVI sont allés
s’installés dans le couvent des Feuillants, et forment le " Club des
Feuillants ".
C) Autres exemples de
sociétés politiques
Dans le même temps que se développe le " Club des
Jacobins ", d’autres sociétés apparaissent :
- qu’elles soient favorables à la Révolution,
elles prennent alors la dénomination de société fraternelle, elles ne
font pas payer de cotisations, dans les discours, le tutoiement et le
terme de citoyen se retrouvent. On peut citer la " Société des amis des
droits de l’homme et du citoyen ", plus connu sous le nom de " Club des
Cordeliers ", on y trouve Camille Desmoulins, Fabre d’Eglantine, Danton
(au début), Marat, etc … . Il tient quatre séances par semaine,
- qu’elles soient hostiles à la Révolution, ils
ont laissé moins de traces, car ils vont disparaître plus rapidement, on
peut citer le " Club de Valois ", infiltré par les Orléanistes, il y a
aussi la " Société de 1789 ", dont la cotisation est de 60 £ par an et
le droit d’entrée de 40 £.
En province, les premiers clubs apparaissent à la
fin de 1789 et vont se développer pendant l’année 1790.
D) Mouvements d'unification,
de regroupement, autour des Jacobins
Il y a une idée comme quoi il faut fédérer,
unifier les clubs. L’union s fait d’abord par la correspondance, déjà
sous l’Ancien Régime, les Académies entretenaient des correspondances
entre-elles. En même temps des groupements à l’échelon provincial se
créent, le premier "congrès" des clubs a lieu à Valence en 1791.
Ensuite, il y a eu, ce mouvement d’affiliation des sociétés provinciales
à la "société mère", c’est-à-dire au " Club des Jacobins ", et ce dès
les premiers mois de 1791, 406 clubs départementaux s’affilient.
E) Que fait-on dans une
société politique ?
Ce sont des sociétés où l’on débat, où l’on fait
des pétitions.
F) L'Etat et les sociétés
politiques
Au départ, l’Etat laisse se multiplier les
sociétés populaires, jusqu’au printemps 1791, la Constituante laisse les
sociétés populaires libre de se multiplier. Tout va changer à partir de
la fin de l’hiver 1791. Dès fin février 1791, un député de la noblesse
du Périgord réclame l’interdiction des sociétés politiques, ce qui amène
l’Assemblée Nationale Constituante a interdire aux sociétés la
présentation de pétitions, et c’est le point de départ d’une véritable
offensive contre les sociétés populaires.
La question de la légitimité des sociétés
politiques est posée, le débat se focalise autour de deux questions :
- les sociétés politiques sont-elles compatibles
avec le nouvel ordre politique que la Constituante est en train de
dessiner ?
- ces sociétés ne risquent-elles pas de porter
atteinte au pouvoir légitimement constitué, ne risquent-elles pas de
porte atteinte à l’expression individuelle des citoyens ?
Au printemps 1791, se trouve poser la question de
la légitimité des sociétés politiques, on s’aperçoit que le pouvoir en
place est inquiet de l’existence de ces sociétés, qui se posent en
contre-pouvoir, qui font des pétitions.
Cette question se pose d’autant plus après la
fuite du roi à Varennes, du fait de la multiplication des pétitions
contre le roi. Les sociétés dénoncent la mollesse de l’Assemblée,
celle-ci a la volonté de mettre fin à ce que l’on considère comme une
agitation.
Le 29/09/1791, Le Chapelier dans son rapport sur
les sociétés politiques énoncent que:
- les sociétés politiques ont été utiles au début
de la Révolution, elles ont contribuer à lancer la dynamique de la
Révolution
- l’affiliation de ces sociétés, les
regroupements, la formation d’un réseau de sociétés et leurs pétitions
sont dangereuses et Le Chapelier ajoute qu’elles sont désormais inutiles
car la Révolution est terminée.
Ce rapport débouche sur l’adoption du décret du
29/09/1791 : " nulle association ne peut avoir une existence
politique ". Ce décret Le Chapelier n’interdit pas les sociétés, mais il
interdit toute activité politique, il interdit le droit de pétition, le
droit de députation.
Ce rapport et la discussion du décret ont été à
l’origine de deux réponses de députés :
- l’intervention de Robespierre, qui dans un très
beau discours, défend le rôle des sociétés politiques car elles
concourent à la sauvegarde des droits de la Nation,
- l’intervention de Brissot qui assigne la
fonction suivante aux sociétés populaires : " elles sont là pour
discuter des lois et pour surveiller les fonctionnaires ", le rôle de
contre-pouvoir est on ne plus clair.
Ce décret n’a pas reçu le moindre commencement
d’application, dès le 19 octobre, la Législative reçoit une adresse de
la " Société des Amis de la constitution de Lisieux ". Les sociétés
populaires, bien loin de régresser dans leur nombre, se montrent très
active pendant tout le printemps 1792.
Le 10/08/1792, en provoquant la chute de la
monarchie et à la fin du régime de la Législative, va donner un nouvel
essor aux sociétés populaires.
II- L’apogée des sociétés populaires, été-automne
1793
L’établissement de la République ranime la
sociabilité révolutionnaire. Les clubs, les sociétés se multiplient.
Cependant le conflit opposant Girondins et Montagnards divise leurs
assemblées, espace leurs réunions, éclaircit les rangs. Il faut attendre
l’été 1793 et la victoire décisive de la Montagne pour que ce constitue
un véritable réseau des sociétés politiques.
A) L’extension maximale des sociétés
La France est attaquée de tout les côtés à
l’extérieur, s’y ajoute le péril intérieur, la contre-révolution, puis
le fédéralisme. Les Montagnards vont, pour répondre à cette situation,
instaurer la dictature du Comité de salut public. Le mouvement
associatif reprend son élan et acquiert une dimension nouvelle. Tout
d’abord, ces sociétés politiques sont désormais placées sous l’autorité
de la loi (décret du 23/07/1793). Ce décret stipule que tout individu,
toute autorité qui mettrait obstacle à la réunion ou voudrait dissoudre
une société populaire serait poursuivi comme coupable d’atteinte à la
liberté. Il reconnaît donc l’existence légale des sociétés politiques
désormais appelé sociétés populaires.
Ces sociétés deviennent les auxiliaires du
gouvernement, c’est le décret du 13/09/1793 qui place les agents de
l’administration locale sous la surveillance des sociétés populaires.
C’est ensuite toute une série d’autres décrets qui par exemple, obligent
les sociétés populaires à faire la lecture du Bulletin des lois. En
quelque sorte, apparaît le rêve d’une démocratie directe et l’idée que
finalement on a plus besoin d’école car les sociétés populaires peuvent
devenir le lieu de formation du citoyen. Cela a pour conséquence une
extension maximale des sociétés qui à la fin de l’an II seront presque 6
000. C’est à ce moment qu’elles vont connaître un nouveau destin.
Saint-Just est chargé, en mars 1794, de présenter
un rapport sur les sociétés populaires : " elles étaient autrefois des
temples de légalité […], on voyait le peuple uni à ses
représentants, […], depuis qu’il y a trop peu de citoyens dans ces
sociétés, le peuple est nu ". Il dénonce l’évolution des sociétés
populaires qui sont remplies " d’êtres artificieux ", de gens qui
veulent faire carrière en politique.
Leur action se ralentit considérablement , avec
les événements de thermidor, on entame la dernière séquence de
l’histoire des sociétés populaires.
B) Le reflux des sociétés populaires
Au lendemain de Thermidor, les sociétés populaires
sont assimilées aux violences de la Terreur, elles sont dénoncées par
toutes les autorités locales, elles apparaissent aux Thermidoriens comme
des repères de Montagnards. Dès septembre-octobre 1794, elles sont
épurées, on en exclut les extrémistes, elles se peuplent de modérées
favorable à al Révolution bourgeoise. Le décret du 16 octobre 1794
limite leur action, on leur interdit de présenter des pétitions, le rêve
de démocratie directe disparaît définitivement, on leur interdit aussi
de correspondre entre-elles. La liste des membres des sociétés doit être
dressée et transmise aux autorités. Ce décret est suivi, le 12 novembre
1794, par la fermeture du Club des Jacobins. Dans les mois qui suivent,
toute une série d’interdiction viennent annihiler complètement toute
action. Elles disparaissent les unes après les autres. La loi du 6
fructidor an III interdit et dissout toute assemblée connue sous le nom
de club ou de société populaire, c’est une loi très importante qui
régira jusqu’à la révolution de 1848, toute vie politique collective. Le
rêve de la démocratie directe disparaît à ce moment là.
III- Les sociétés populaires dans l’historiographie
Ces sociétés populaires sont un aspect original de
la vie politique durant la Révolution, leur existence, leur
fonctionnement ont interpellé les historiens de la Révolution française.
Trois grands historiens, Michelet (républicain), Taine ( conservateur,
hostile à la Révolution) et Denys Cochin (royaliste) ont défini une
problématique de ces sociétés populaires, ils les décrivent comme une
" machine ". Aulard (radical) emploie le terme de " filet " qui aurait
emprisonné toute la France. Ces deux métaphores donnent une image très
négative des sociétés populaires, image qui a été reprise dans ces
trente dernières années par des historiens comme Jean Tulard (droite),
François Furet (plutôt à gauche), mais dans un contexte, le lendemain de
la Seconde Guerre Mondiale, où l’on découvre tout ce qui s’est passé en
U.R.S.S. par le rapport Kroutchev, où l’on a connu les totalitarismes.
Ces deux historiens ont vu dans les sociétés populaires, l’origine de
tous les totalitarismes à venir. On a là une interprétation, une
problématique des sociétés populaires comme à l’origine de la Terreur,
des totalitarismes. D’autres historiens comme Albert Soboule ont donné
une vision positive des sociétés populaires, elles ont été le puissant
levier d’action populaires qui aurait pendant l’an II permis à la
Révolution de triompher de toutes les oppositions. Albert Soboule
affirme que dans les sociétés populaires, on aurait l’amorce ou
l’armature d’un parti populaire.
Un débat, parfois extrêmement violent, c’est
installé dans les années 65-70, il a vu s’affronter deux camps.
Depuis ces débats, une nouvelle génération
d’historiens a relancé les recherches sur ce sujet, ils développent une
nouvelle problématique très intéressante :
- ces sociétés n’ont jamais constitué un réseau
monolithique, sans aucun doute Paris et le Club des Jacobins ont
constitué un modèle mais ils ne sont pas l’unique étalon de la
sociabilité politique, beaucoup de sociétés n’ont pas fonctionné sur le
modèle jacobin,
- ils développent la thèse du polycentrisme, ce
dernier a bien existé dans les débuts des sociétés, mais
indiscutablement, au fil des mois, et surtout au fil des événements, les
sociétés populaires ont connu une indéniable cohésion voulue en
particulier au moment où les Montagnards exercent le pouvoir. Pour
autant, si ces sociétés ont été transformées en un instrument de
cohésion indispensable au moment où la France est en péril, elles ont
surtout été utilisées par le gouvernement montagnard comme des rouages
administratifs. Elles sont devenues des auxiliaires du gouvernement.
IV- La participation des Français à la vie politique
L’apprentissage de la vie politique est-il
synonyme de participation des Français à la politique ? Mesurer cette
participation des Français sous la Révolution est très difficile pour
trois raisons :
- la fluctuation des systèmes électoraux
(censitaire, universel)
- il faut tenir comte du fait que la population
n’est pas instruite
- les sources manquent.
Pendant longtemps, on a développé le fait que les
Français ont été indifférent voir hostiles (sous le Directoire), depuis
quelques années, des enquêtes ont remis en cause cette indifférence des
Français. Sous la monarchie constitutionnelle, les électeurs ont été
très souvent consultés, pour autant on constate un empressement des
électeurs, le taux de participation dans plus des 2/3 des cas est
supérieur à 50 %. La mobilisation des campagnes a été plus forte que
celle des villes. Ces taux de participation chutent sous la Convention.
En 1793-1794, période du suffrage universel, le plébiscite pour la
constitution de l’an I, voit des taux de participation remontés
au-dessus de 50 %. Sous le Directoire, on constate à nouveau, une baisse
du taux de participation.
Les conclusions sur la participation des Français,
à partir du test électoral doivent être nuancées. Pour autant, il y a la
remise en cause d’une thèse d’E. Weber, à savoir que le peuple des
campagnes n’entre en politique que sous la Troisième République ;.
L’apprentissage de la politique a sans doute été incomplet, sélectif. Il
a sans doute laissé de côté une partie importante des masses populaires,
pour autant, pendant la Révolution française, il s’est formé une classe
politique et il y a eu un éveil à de nouvelles pratiques de groupe.
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