Quand on parle de parenté, il n’est pas seulement
question de parenté biologique. Elle constitue dans la société
carolingienne une structure englobante qui est construite sur des liens
personnels et réciproques. Si elle se double d’une amitié, elle prend la
forme d’une parenté artificielle. Cette structure s’anime notamment dans
le cadre d’engagements collectifs. Chaque individu construit son réseau
de parents et d’amis, les groupes de parenté jouent donc un rôle
essentiel à l’époque carolingienne.
I.
Approche anthropologique
1. Les
structures de parenté : typologie
La parenté est déterminée par trois facteurs : la
filiation, l’alliance et la résidence, la combinaison de ces trois
facteurs détermine le type de structure de parenté. La ligne de
filiation, c’est la ligne par laquelle un individu détermine ses
droits : le nom, la qualité, l’héritage et la protection, mais aussi ses
devoirs, son appartenance au groupe. Il existe deux types de filiation :
unilinéaire ou indifférenciée. Ce que l’on entend par alliance ce sont
l’ensemble des règles qui organisent l’échange des femmes. L’endogamie :
on doit épouser dans la parenté, dans le groupe familial ou dans un
milieu local très particulier, cela peut être une contrainte ou un état
des choses. L’exogamie : on ne peut pas épouser à l’intérieur de la
parenté. Dans un système unilinéaire patrilinéaire, on peut avoir
obligation d’épouser dans l’autre ligne. On vérifie aussi si l’échange
est restreint ou généralisé. Dans l’échange restreint, il y a
réciprocité. Ensuite on détermine la résidence : patrilocale : le jeune
couple réside auprès des parents de l’époux, matrilocale, s’il réside
auprès des parents de l’épouse, virilocale enfin, s’il réside là où vit
l’homme.
Dans le système patrilinéaire, les droits se
transmettent en ligne masculine, l’individu se rattache principalement
au groupe de résidence patrilocale ou virilocale, cela peut favoriser à
la fois l’endogamie et l’exogamie.
Dans le système matrilinéaire, le pouvoir reste
souvent exercé par les hommes, on parle de lignage matrilinéaire.
Dans le système indifférencié, les droits se
transmettent autant par les hommes que par les femmes, cela favorise la
famille nucléaire. La résidence est souvent virilocale. L’alliance joue
un rôle fondamental. L’individu peut choisir son point de rattachement
au sein des multiples lignes de parenté.
Au plan local, il y a le groupe domestique, on
mesure sa taille et sa structure pour déterminer un type précis de
groupe domestique. Soit il s’agit d’une personne seule, ou des personnes
qui ne constituent pas un groupe familial. On peut avoir une structure
simple : un seul couple avec des enfants, ou une structure élargie soit
verticalement soit horizontalement, dans ce cas, on parle de groupe
domestique polynucléaire, on distingue la famille souche où le couple le
plus âgé domine et commande, et la frereche quand il s’agit de groupe de
frères ou de sœurs.
2. La
structure de parenté au haut Moyen Âge
Le mariage légal à l’époque carolingienne est un
échange généralisé sur la base d’un système exogamique, mais dans le
milieu aristocratique, il y a des renchaînements d’alliances et des
bouclages consanguins assez nombreux. On ne peut épouser un parent en
deçà du 3e degré de parenté, pour autant le renouvellement
des alliances conduit toujours à un implexe ancestral : une réduction du
nombre d’ancêtres par mariages consanguins.
Malgré l’exogamie, il y a le souci de recroiser
les alliances car c’est très important dans la reconnaissance
d’appartenance à un groupe. Il existe plusieurs formes d’union à
l’époque carolingienne : le mariage légal, le mariage libre (épouse de
jeunesse), des unions précaires, etc. Pour la filiation, à l’époque
carolingienne, elle est bilatérale indifférenciée (cognatique). Les
droits se transmettent par les deux lignes de parenté. Dans la pratique,
les biens fonciers peuvent être partagé entre les enfants. Pour autant,
la terra saliqua est réservée aux garçons. La qualité se transmet par
les hommes et par les femmes, de même que les honores lorsque l’épouse
en possède.
On a longtemps cru que le groupe dominant était
une famille large polynucléaire, en fait à l’intérieur du village, une
maison abritait une famille de type conjugal. En France, comme en
Allemagne, on sait aujourd’hui que la structure prédominante était
fondée sur la famille conjugale simple. Le nombre d’enfants se situe
entre 2,6 et 3 enfants par foyer, pour autant il y a des familles sans
enfants et des familles avec 5 ou 6 enfants.
Le groupe dominant des aristocrates est aussi
centré sur la famille conjugale. Dans les deux cas, la mortalité
infantile est très forte : 30 % au IXe siècle.
Le mode de résidence est adapté à la structure du
patrimoine, celui-ci peut être morcelé. À partir du Xe siècle, les
familles commencent à se structurer autour d’une maison forte, petit à
petit, le mariage des cadets sera restreint.
Il peut néanmoins exister des familles élargies
aux nutriti, ou à d’autres personnes.
Le système conjugal est largement dominant au VIIIe
et IXe siècle. L’Eglise a ainsi pu développer une idéologie
du mariage plus contraignante.
II. Christianisation de l’union et promotion de la parenté spirituelle
1. La
doctrine chrétienne
Cette doctrine se trouve surtout dans les épîtres
de saint Paul. Le mariage a été institué par Dieu dès lors que les laïcs
ne peuvent pas vivre chaste ou continent. Saint Augustin a défini, et
pour des siècles, les bienfaits du mariage : la génération (obligation
d’avoir des enfants), la fidélité entre époux, l’idée de
l’indissolubilité de l’union (car elle est voulue par Dieu) et le devoir
de procréation justifie l’union entre homme et femme et évite ainsi la
luxure. La fidélité naît du pacte conjugal et donne à chaque époux le
droit sur le corps de l’autre. Seuil le mariage chrétien réalise le
sacramentum, c’est-à-dire l’union légitime et indissoluble entre une
femme et un homme.
2.
L'union matrimoniale selon le droit germanique
Pour imposer cette vision, l’Eglise est confrontée
à la double nature de l’union : religieuse et sociale. Dans la Gaule du
VIIe siècle, le modèle matrimonial laïc paraît bien éloigner
du modèle chrétien. Le système de l’échange des femmes repose sur une
union publique, tous doivent assister au transfert de l’autorité sur
l’épouse (le mundium). Le mariage romani et la muntehe germanique sont
des mariages par étapes. Les implications sociales sont très fortes.
Même si le divorce est possible, notamment en cas de faute de l’épouse,
en droit germanique, il a été beaucoup moins fréquent que l’on ne l’a
dit. Dans l’aristocratie, la fridelehe permet de desserrer les
contraintes du mariage légal, cela engendre une polygamie hiérarchisé.
Dans la pratique on a affaire qu’à un seul mariage. Le seul mariage
légal, la muntehe se déroule en dehors de l’Eglise. Cette dernière est
consciente de ce problème, à partir VIIIe siècle, elle va
porter tout son effort sur la cellule conjugale, plus pour imposer ses
normes et diffuser sa morale à l’intérieur du système existant. L’état
de laïc doit être encadré par le mariage. La christianisation de la
société suppose que soient précisées les conditions de l’union, tout ce
qui permet d’élaborer une morale conjugale autour de l’union. L’Eglise
renforce dans le même temps la lutte contre le mariage et le concubinage
des prêtres. Elle trouve un appui auprès du pouvoir, car celui-ci assume
aussi des idéaux chrétiens. Cette moralisation du mariage va aussi de
pair avec l’ordre carolingien voulu dans la société. Jusqu’à la réforme
grégorienne, l’Eglise n’est pas la seule compétente pour ce qui touche
au mariage, les affaires matrimoniales relèvent d’abord des tribunaux
civils. Au IXe siècle, cette conjonction d’efforts intervient
mais de façon provisoire. Avant le XIIe siècle, il n’y a pas
de mariage religieux.
3. Une
union consensuelle ?
Quand l’Eglise a tenté de déterminer ce qu’est un
mariage valide, elle s’est appuyée sur les conditions des lois
romaines : condition d’âge, liberté juridique des époux, consentement
des deux époux. Au IXe siècle, dans un texte, Nicolas Ier
(858-867) répond au roi des Bulgares en plusieurs points sur les formes
du mariage légal : fiançailles, puis mariage constitué par l’échange des
consentements des époux mais aussi des parentés. Ce consentement se
complète par la remise d’un anneau, le versement de la dot, la rédaction
d’un acte écrit. Dans les régions de droit germanique, l’Eglise s’est
prononcé en faveur de la muntehe accompagné de tous les rites qui
étaient déjà ceux de la tradition germanique, dont la remise de la
morgengabe par le mari à la famille de la mariée. Ces rites montrent que
la muntehe est assez peu consensuelle, elle était assez proche du
mariage romain. Il est en usage dans l’aristocratie carolingienne :
publicité des noces, donc le mariage est connu et reconnu. Il est
essentiel de distinguer l’épouse légitime de la concubine, le
concubinage n’a aucune implication sociale. En 755, le souverain impose
au concile de Ver, les noces publiques avec dotation de l’épouse avant
le mariage. Seul le mariage public désormais garanti par la dot et
l’accord des parentèles assure la stabilité de l’union légale. L’Eglise
a avancé avec un certain nombre de contradictions : pour ce qui est du
mariage des esclaves, sa position a évolué, dans le droit romain et dans
les lois barbares, on ne reconnaît pas le mariage des esclaves, l’union
prenait la forme d’un simple contubernium (liaison d’amitié). L’Eglise a
reconnu aux esclaves les droits de la personne humaine tout en suivant
la loi romaine qui dit que les époux doivent être libre. La loi salique
condamne les mariages entre personnes de condition juridique différente.
Parmi les formulaires, il existe la possibilité d’affranchir une esclave
pour pouvoir l’épouser légalement (exemple de la reine Mathilde,
ancienne esclave). Le même formulaire permettait à deux esclaves de se
marier sous réserve de l’accord des deux maîtres. Avec l’installation
d’une façon définitive des esclaves sur des terres, avec la diffusion de
la petite propriété paysanne, avec le développement des ménages de
paysans chasés, il est apparu rapidement aux maîtres de considérer
légitime tous ces mariages mixtes afin de les rendre conjointement
responsables des obligations qui sont les leurs. Le modèle vécu dans la
paysannerie, c’est le modèle conjugal, l’épouse est désignée comme uxor
ou conjux et cela quelque soit la qualité juridique des personnes. En
817, dans un capitulaire, une ligne fait référence aux mariages des non
libre. L’attitude de l’Eglise à l’égard du rapt est tout aussi ambiguë :
elle condamne cette forme d’union fondée sur l’amour mais aussi sur la
désobéissance. Cette forme d’union, l’enlèvement au sens de seductio
était sans doute une forme d’union bien plus consensuelle que le mariage
légal. Hincmar de Reims condamne toute forme de rapt même consenti.
Pourtant des affaires de rapt célèbre sont réglées avec la bénédiction
de l’Eglise, un exemple en est l’enlèvement de Judith, fille de Charles
le Chauve, par Baudouin, comte de Flandre. Le roi fini par reconnaître
le mariage de sa fille et assure la fortune de son gendre. La
christianisation de la société et du mariage passait d’abord par le
respect des autorités traditionnelles.
4.
L'union comme un sacramentum
La dimension sociale du mariage ne peut suffire à
valider l’union. Les autorités religieuses du IXe siècle, en
se fondant sur les conceptions de saint Augustin, ont rappelé que la
valeur du mariage est fondée sur le sacramentum. Nicolas Ier déclarait
pourtant que le libre consentement suffisait à valider religieusement le
lien. Hincmar, à propose de l’affaire du mariage d’Etienne a rédigé les
Epistolae de Nuptius Stephani. Il y dit que le mariage d’Etienne
est nul car il n’a pas été consommé, l’union des corps (copula carnalis)
devait parfaire l’union matrimoniale et le rendait indissoluble.
Beaucoup de religieux n’ont pas partagé cet avis d’Hincmar de Reims. Au
IXe siècle, les théologiens ne définissent pas encore le
mariage comme un sacrement. La réflexion théologique ne débouche pas sur
une théorie sacramentèle du mariage, il faut pour cela attendre le XIIe
siècle. En Orient, la bénédiction nuptiale a été prévue dès Léon III,
mais ne devient un élément obligatoire du mariage que sous Léon IV
(886-912). En Occident, elle n’est ni obligatoire, ni généralisée. Quand
elle a lieu, elle est insérée dans une messe, les sources narratives
n’ont pas laissé de traces de cela, les capitula ne traitent pas de la
célébration du mariage. Le 1er ordo connu pour le mariage
s’apparente à un ordo de couronnement. Cyril Vogel a noté que l’Eglise
s’est contentée de ritualiser les formes civiles d’union en obligeant
les époux à se soumettre aux obligations civiles.
5. Le
divorce
S’il y a consentement et consommation, le mariage
est indissoluble. À partir du VIIIe siècle, cette théorie est
de nouveau beaucoup discutée. Jusqu’au règne de Charlemagne, c’est la
doctrine chrétienne qui domine. Après cela, la législation civile s’est
mise en accord avec le droit ecclésiastique. Le pape Zacharie au milieu
du VIIIe siècle a rappelé ce principe à Pépin le Bref, ce
dernier a renoncé à son divorce, mais on ne sait pourquoi. Nicolas Ier
développa la même idée, mais le contexte avait changé, les normes en
matière de mariage s’étaient durcies. Les causes de séparation se sont
réduites à l’impuissance du mari, le changement de statut d’un des
conjoints et à l’inceste. L’adultère continue de poser des problèmes,
car les lois romaines et germaniques autorisaient le mari à renvoyer
l’épouse adultère. Au IXe siècle, il est encore possible de
se séparer d’un conjoint adultère, mais quid de celui des conjoints non
coupable ? Les statuts de Théodulfe d’Orléans interdisent tout remariage
au nom du sacramentum de l’union. Dans d’autres documents, comme le
concile de Rome de 826, on autorise le remariage du conjoint non
coupable. Le concile de Paris de 829 revient, sur des positions plus
dures, y participe Hincmar de Reims et Jonas d’Orléans. Au début du Xe
siècle, Réginon de Prüm dans le De Synodalibus causi reprend des
textes qui autorisent le divorce pour adultère de l’épouse, après un
jugement de l’évêque. Au milieu du IXe siècle, les canons des
conciles de Verberi et de Compiègne introduisent l’inceste, considéré
comme un adultère, comme cause de séparation. Dans ce cas-là, le
conjoint adultère ne peut se remarier, l’autre peut contracter une
nouvelle union. Il y a encore des incertitudes liées autour de la
discussion de l’indissolubilité du mariage. On est toujours dans la
réflexion sur le lien conjugal. Le durcissement de la position de
l’Eglise essaye aussi de répondre à des motifs sociaux. La
conjugalisation du modèle familial et l’application du principe de la
monogamie génèrent probablement une plus grande instabilité des couples.
Jonas d’Orléans affirmait dans le De Institutione laicali [il est
aussi l’auteur du De Institutione Regia] que les divorces étaient
en augmentation. On répudiait une épouse sans raison valable. Il ne
s’agit peut-être pas d’une exagération d’un prélat moralisateur. Le
prétexte le plus classique invoqué est de dire que cette femme n’est
qu’une concubine et non pas une épouse. Tous cela se concentre dans
l’affaire du divorce de Lothaire.
6. Le
remariage des veuves
Au nom de la hiérarchie des états, la continence
est placée au-dessus, tout comme le veuvage. L’Eglise a cherché à
limiter le remariage des veuves et elle a glorifié le veuvage. L’idéal
de vie pour ces femmes est de rester un vidua (veuve ou veuf). Dès les 1er
siècles du christianisme, les veuves avaient une place importante dans
la liturgie. Elles étaient bénites à l’aide de rituels spécifiques. Dans
la seconde moitié du Xe siècle, le " pontifical
romano-germanique " introduit un ordo particulier de consécration des
veuves. Un tel idéal de vie va à l’encontre de l’intérêt des familles
qui souhaitent remarier les veuves (surtout si elles sont jeunes) pour
agrandir la parenté, les liens. L’Eglise admet donc la possibilité d’un
deuxième remariage, elle a essayé de rester ferme sur un troisième
remariage. Elle condamne sans appel le remariage d’une veuve avec le
frère, le neveu ou le fils du mari.
7. La
parenté consenguine
C’est une parenté qui s’établit par des alliances,
des échanges de femmes, c’est aussi le fait de partager un ancêtre
commun. Jusqu’au VIIIe siècle, le mariage avait été interdit
à l’intérieur d’une parentèle jusqu’au niveau de la cousine issue de
germain et avec les alliés les plus proches. En Orient, le concile de
Trillo de 692 avait étendu la consanguinité à toute la parenté légale.
Pour autant les lois civiles ne reprennent pas ces interdictions. Entre
le milieu du VIIIe siècle et le milieu du IXe
siècle l’Eglise interdit progressivement le mariage à l’intérieur de
toute la parenté légale, ainsi que le mariage avec une affine (parenté
par alliance), ainsi qu’avec la parenté spirituelle (parrain, marraine).
Réginon de Prüm va encore plus loin, il interdit tout mariage jusqu’au 4ème
degré de parenté, avec les alliés, les parents spirituels, mais aussi
avec toute la parenté commune. La limitation du remariage des veufs et
l’extension démesurée des interdits rentrent dans le projet global de
christianisation de la société. Dans les Ecritures, on empêche le
mariage avec les parents proches. On prévoit même des châtiments très
sévères quand il y a de telles fautes. Le Lévitique n’admet que le cas
de l’évirat : le fait que la veuve sans enfant soit épousée par son
beau-frère. L’Eglise réagissait contre les mœurs dissolues des peuples
francs, dont le réflexe d’endogamie était fort. En réalité, la
communauté laïque cherchait avant tout à satisfaire ses besoins de
parenté, qui sont ancrés dans la durée, il faut donc revivifier ces
alliances par de nombreux mariages. Toutes ces mesures qui tendent à
rendre le mariage plus difficile cherchent aussi à limiter la puissance
des laïcs. On a aussi mis l’accent sur la parenté spirituelle,
l’interdiction est insérée dans la loi civile dès Pépin le bref. Nicolas
Ier considère cette parenté comme supérieure à toutes les
autres car elle a été créée par un sacrement, celui du baptême.
8. Le
respect de l'épouse
L’Eglise a aussi cherché à encourager un
comportement autour du mariage qui soit en adéquation avec la morale
chrétienne. À travers leurs " miroirs ", l’Eglise apporte une morale
conjugale : fidélité, respect et amour des époux : Traité sur les
vices et les vertus d’Alcuin et le De Insitutione laicali de
Jonas d’Orléans. Dans ces textes, le mariage est envisagé comme une
société qui fonctionne sur la base d’une réciprocité parfaite des droits
et des devoirs des époux. Jones d’Orléans a rejeté les thèses
antiféministes de certains Pères de l’Eglise. Il prône l’égalité entre
les conjoints, ils ont les mêmes droits et sont menacés l’un et l’autre
par les péchés. Pour lui, la réciprocité va très loin, l’adultère est
aussi un péché pour les hommes. De cette fidélité, doit naître
l’affection et se prolonger dans la proles (descendance) qui sublime
l’institution maritale aux yeux de l’Eglise. L’engagement des deux
époux, c’est aussi promouvoir un officium parental. La fidélité est
placée au centre du problème par le clergé carolingien. Celle-ci est
aussi prônée dans l’engagement politique. Très vite, la fides est
devenue la vertu laïque par excellence, la clef de voûte de l’édifice
carolingien. Cette fidélité fait de la famille conjugale la " structure
portante de toute la société ".
Le modèle de vie proposé est un modèle idéal,
héroïque, on ne peut donc en déduire la réalité des rapports entre un
homme et une femme. La fides est assimilée à la fides que doivent tous
les sujets à leur souverain, Hincmar a défini la noblesse comme la
militia regni. Lorsqu’un miles devait faire pénitence, il devait déposer
ses armes sur l’autel d’une église et s’éloignait durant cette période
de son épouse. La morale familiale et sexuelle proposée aux aristocrates
n’est qu’un élément d’une morale plus large. La christianisation en
profondeur des relations conjugales implique un combat contre les vices,
les excès. Le miles use du mariage pour combattre les vices, la luxure
et faire triompher la vertu. C’est une morale héroïque, elle représente
un idéal, pour autant elle n’est pas ascétique. Les évêques n’imposent
pas la chasteté, il la recommande. Périodiquement, ils demandent de
s’abstenir lors de certains jours religieux. Les excès sexuels
abolissent le guerrier. Pour faire de beaux enfants, il faut préserver
sa semence. C’était pour appliquer une morale de bonne usage, avoir une
tempérance : c’est le meilleur représentant du respect de l’épouse.
Les clercs proposaient aux laïcs un modèle
conjugal dans lequel il existait un consortium, les deux époux sont
également responsables. Cette évolution se fait lentement. Des indices
montrent que ce modèle progresse au Xe et XIe
siècles, notamment dans les libri memoriales (listes de personnes
vivantes ou mortes que l’on regroupe par famille). À partir du Xe
siècle, on entre dans ces libri par couple. En Catalogne, comme au nord
de la Loire, l’épouse du comte est désignée, dans les libri, dans les
nécrologes, avec le terme de comitissa (comtesse). À partir du Xe
siècle, le consentement de l’épouse est systématiquement demandé lorsque
le mari aliène une partie du patrimoine familial. L’épouse apparaît
comme une véritable consort, on entérine le modèle conjugal. L’épouse
aristocratique des Xe et XIe siècles jouit d’une
autorité qu’elle n’avait pas auparavant.
L’épouse peut néanmoins être la première victime
des déséquilibres dans la famille, elle apparaît quand même de plus en
plus comme une domina. Elle peut jouer le rôle d’ambassadrice, elle peut
aussi faire sa propre politique monastique, un exemple, en est Judith au
IXe siècle.
Ce partage s’explique pour des raisons idéologiques et politiques :
renforcement du pouvoir local, volonté de maintenir les liens entre les
familles, changement dans la transmission. Sur le plan religieux, on est
entré dans une christianisation encore plus forte du modèle familial, du
respect de l’épouse. À la mort de Baudouin II, en 918, ses vassaux ont
voulu le faire enterrer à côté de son père dans un monastère interdit
aux femmes. Son épouse qui voulait, à sa mort, être enseveli à côté de
lui a choisi Gand et le monastère de Saint-Blandin. Apparaissent aussi à
cette époque de nouveaux modèles de sainteté qui prennent en compte le
mariage. Au Xe siècle, la morale conjugale est adaptée à son époque et
cela même si les résistances ont été fortes. |