Le rythme lent des évolutions économiques de l'Ancien Régime

En fait il faut se poser deux questions : quel était le système économique sous l'Ancien régime ?, et comment a-t-il évolué ?.

I) L'ancien système économique

Ce qui caractérise l'ancien système économique c'est :

A) La prédominance de l'agriculture

80 à 90 % de la population vit à la campagne, la France est une France rurale, plus des 4/5 de cette population travaille la terre et a pour charge de nourrir le reste de la population. C'est une agriculture essentiellement céréalière, elle produit différent type de blé comme le froment, le millet, le seigle, l'orge, l'avoine, etc... . Il y a également des cultures secondaires, elles sont très variables suivant les régions, les sols, les climats. Les rendements sont faibles : le rapport semence / récolte est de 5 pour 1, car les semences sont de mauvaise qualité (mauvaise conservation), car l'outillage est rudimentaire, et surtout par insuffisance d'engrais, en effet les paysans ne disposent comme engrais que du fumier et en faible quantité. Pour pallier cette insuffisance, il y a la pratique de la jachère, néanmoins quelques régions échappent à la servitude de cette jachère grâce à l'ingéniosité de leurs habitants, par exemple, en Flandres, en Hollande.

Dans les Flandres, on répand de la "gadoue". Dans ce système agricole, il y a un problème central, c'est l'insuffisance de l'élevage, en fait ce qui pose surtout problème, c'est la nourriture de cet élevage. Le bétail est nourri par les terres en jachère, les chaumes de blé, dans les landes, les sous-bois. IL y a certes, des prairies et des cultures fourragères mais on peut pas les multiplier car cela se ferait au détriment des emblasures, il y un "cercle vicieux" de l'agriculture.

B)Le travail "industriel" : une activité urbaine

Le travail n'est pas seulement urbain, il existe aussi à la campagne, il revêt un caractère artisanal, l'outillage est médiocre, les techniques également. La force motrice est essentiellement la force de travail de l'ouvrier, mais il y a aussi la force animale, la force éolienne, la force hydraulique. Il y a une dispersion du travail "industriel" en petits ateliers, échoppe. On retrouve des métiers textiles en ville, des petites forges au bois disséminées dans les campagnes. Les grandes entreprises sont exceptionnelles. En fait ce sont de modestes artisans, organisés en instituions professionnelles : les guildes, les métiers, les jurandes et les corporations (professionnels qui exercent le même métier).

Cependant, on peut noter une timide apparition du capitalisme au niveau de la production avec l'apparition du "marchand-fabricant", c'est à dire, celui qui à la fois produit et vend, il amasse ainsi des capitaux, ils apparaissent essentiellement dans le textile. En fait, il y a une prédominance des "industries" de consommation sur les "industries" d'équipement. C'est le textile qui fait travailler bon nombre de personnes : toile de lin, de laine, "drap" de laine, de coton, cotonnades,etc... , c'est aussi le bâtiment, et très loin derrière les "industries" minières et métallurgiques. On voit apparaître un timide début de concentration.

C) La lenteur des relations commerciales

Les déplacements sous l'Ancien Régime sont lents :

- difficultés des transports terrestres : lourd attelage, les routes sont mal entretenues ou pas entretenues du tout. La route est dangereuse dans les régions les moins peuplées d'Europe du fait des bandits, pillards et autres. Il est à signaler que l'on circule plus rapidement dans la partie occidentale de l'Europe.

- la voie d'eau est en fait préférée car plus facile, mais il y a quand même des obstacles comme les moulins, les péages seigneuriaux, l'irrégularité du régime des rivières.

- la voie maritime : le cabotage et les relations lointaines sont également un mode de transport privilégié. Ce n'est pas non plus parfait, il existe une certaine lenteur, l'incertitude, les risques de naufrage, la piraterie. Il existe quelques voies de circulations internationales ; la Méditerranée avec Venise et Gênes, la mer du Nord avec les villes hanséatiques comme Anvers, l'Atlantique, trait d'union entre la Méditerranée et la mer du Nord, mais également avec le nouveau monde.

D) Les techniques commerciales sont toujours très routinières, pour régler les transactions, les transports de d'espèces monétaire sont encore la règle. la tenue des livres de commerce reste médiocre, néanmoins, des techniques nouvelles comme la lettre de change, se développent. On voit se former de puissantes compagnies de commerce.

Cette économie est placée sous le signe de crise violente, dont le rythme est en général décennal, la crise fait partie des structures de l'économie :

La crise appartient à la structure même de l'économie.

II) Au 18e siècle : mutations et croissance de l'économie

Au 18e siècle, on peut constater comme en démographie, un certain nombre de changements, ce sont de lentes évolutions, il ne s'agit pas de "révolution". A l'origine de ces changements, il y a la croissance démographique.

A) Les lents progrès de l'agriculture

1°- C'est de nouvelles techniques agricoles : les hollandais, les anglais et les flamands jouent un rôle essentiel dans l'évolution des techniques agricoles. Dans la seconde moitié du 18e , il y a une innovation importante : l'introduction des cultures fourragères comme le trèfle, la luzerne et le sainfoin dans le cycle de la production agricole. C'est à dire que là où l'on pratiquait l'assolement biennal ou triennal on a remplacé la jachère par des cultures fourragères. Cela a permis le développement de l'élevage. Il y a eu une augmentation de la qualité du bétail par la sélection des races, à la fin du 18e siècle, un élément d'apport pour le bétail : la pomme de terre. Dans l'outillage, les évolutions restent fort lentes, certes il y a apparition de la charrue Brabant, mais elle reste le privilège d'un très petit nombre.

2°- Il n'y a pas de "révolution" agricole : la diffusion de ces progrès est lente, et elle est limitée à quelques régions. En Angleterre, on assiste, à une nette augmentation des cultures fourragères, à une diminution de la jachère, à une rotation plus élevées des cultures, à une amélioration des rendements, en même temps, on y voit se développer le mouvement des "Enclosures" (remembrement, expropriation et partage des communaux). Ceci est encouragé par le développement de l'agronomie et de la littérature agricole (Jethro Tull, Arthur Young), tous cela se fait eu bénéfice des grands et moyens propriétaires, la multitude des petits paysans est privée des communaux, ils sont chassés de leur terre et ils viennent grossir le prolétariat urbain. Ce mouvement commence d'abord dans les sud-est de l'Angleterre, puis remonte vers le nord de l'Angleterre. A partir des années 1760-1770, l'Angleterre va pouvoir nourrir sa population. En France, comme en Angleterre, il y a un contexte intellectuel favorable avec un développement aussi de l'agronomie, développement d'un courant de pensée économique : les Physiocrates. En dépit de ce contexte, les défrichements n'augmentent pas, quand on veux supprimer les communaux, la résistance est vive, la jachère, même si elle recule, reste la règle générale.

Les cultures nouvelles ne progressent pas non plus très rapidement. Et en dépit de tous cela, la production agricole augmente pendant le 18e siècle : environ 27 à 28 % de progression. La production augmente car il y a des microprogrès mais surtout car le conjoncture climatique est favorable de 1720 à 1770, engendrant de bonnes récoltes.Hormis le cas anglais, on peut dire qu'il n'y a pas de progrès spectaculaire de l'agriculture européenne, mais le climat a permis de bonnes récoltes.

B) Essor de la production "industrielle"

Il existe toujours un artisanat urbain, mais il y a aussi des nouveautés.

1°- La proto-industrialisation, en particulier dans le textile : en Angleterre, le puttingout systèm ou domestic systèm, en Allemagne, le verlag systèm, en France, c'est la fabrique, la manufacture. Il y a le producteur qui travaille à domicile, en ville, dans de petits ateliers, mais c'est aussi souvent un petit paysan. Il est totalement dépendant à l'égard du marchand-fabricant, c'est sa différence avec le maître-artisan. Dans la production, le producteur n'est qu'un salarié.

Le marchand-fabricant qui est à l'autre bout de la chaîne, c'est celui qui fournit la matière première, puis il récupère le produit fabriqué, en échange d'un prix de façon, (le producteur dépend donc du marchand-fabricant, car celui-ci fixe le prix de façon, vu le nombre de personne sur le marché, le producteur ne peut contester ce prix). Une fois le produit fini récupéré, le marchand-fabricant le vend sur le marché national ou international pour son seul profit. Le marchand-fabricant c'est celui que l'on va appeler un capitaliste. Cette proto-industrie connait un grand développement au 18e siècle,(elle existe déjà au 16e et 17e siècle), tant dans les villes que dans les campagnes. Le cas de Lyon est caractéristique, il y a 300 à 400 fabricants, et 7 000 à 8 000 ouvriers-tisseurs (cannut).

La première conséquence du développement de la proto-industrie, est la ruralisation du travail industriel, la seconde est la montée d'une bourgeoisie capitaliste. Proto-industrialisation n'est pas synonyme d'industrie textile, on la trouve aussi au 18e dans la métallurgie de transformation (coutellerie de Langres et de Nogent en Bassigny, environ 30 marchand-fabricant qui font travailler dans les campagnes avoisinantes 6 000 ouvriers coutelliers).

Pourquoi le développement de la proto-industrie sous l'Ancien Régime et en particulier au 18e siècle? Pour deux raisons, la première c'est l'ouverture sur le monde extérieur, la seconde, c'est l'augmentation de la population, ces deux raisons ont favoriser l'augmentation de la production.

2°- L'amorce timide de la révolution industrielle

Dans le même temps où la proto-industrie se développe, on assiste à un amorce de révolution industrielle, favorisée par des mutations techniques radicales en Angleterre; les machines textiles (spinning-jenny, muhl-jenny); la machine à vapeur, qui va produire la force actionnant les mécaniques, s'impose en Angleterre dès la fin du 18e siècle; la production de la fonte au coke.

De la production manuelle, on passe aux machines. On assiste à l'apparition de nouvelles unités de production : l'usine (à la fin du 18e, on parle plutôt de fabrique ou manufacture), en Angleterre, on appelle cela la factory : le ras-semblement en un même lieu de moyen de production et des travailleurs nécessaires au fonctionnement et à la production. On passe du domestic system au factory system, avec une séparation entre capital et travail.

La révolution industrielle est un processus qui s'étend de la fin du 18e siècle à 1880 avec des décalages dans tous les pays européens, à la veille de 1789, seul l'Angleterre est engagée dans cette révolution. En France, à la même époque, on trouve quelques réalisations : Le Creusot, les mines d'Anzin.3°- L'essor des échanges commerciaux

C'est une mutation importante du 18e siècle, il y a une augmentation de la

démographie et une augmentation de la production industrielle, ce qui entraîne une intensification des échanges commerciaux, dans chaque pays, à l'intérieur de l'Europe, avec le reste du monde.

Le commerce intérieur dans chaque pays a été favorisé par l'améliorations des conditions de circulations des voies d'eau et de terre. L'Angleterre est saisie par une fièvre des canaux de 1760 à 1800, elle va construire un réseau cohérent de canaux reliant les principales voies d'eau anglaises, celui-ci a pour conséquence, une diminution formidable du prix du transport. La France, développe le réseau routier, c'est l'action de deux hommes : les Trudaine père et fils qui de 1743 à 1777 ont construit un ensemble cohérent de belles routes, l'instauration en 1738 de la corvée royale des grands chemins, en plus de leur action a fait que la France avait à la fin du 18e, ce magnifique réseau de routes reliant les principales villes en France, néanmoins les routes secondaires et les chemins restent négligés.Le commerce intra-européen voit le développement du cabotage et du trafic maritime, les navires deviennent plus vastes, plus maniables, plus rapides. On assiste à un essor sans précédent avec comme pilier de ce trafic l'Angleterre et la France qui se livrent une lutte sans merci, mais aussi encore les Provinces-Unies, la Suède. Cependant le commerce intra-européen voit sa part relative diminuée dans l'ensemble du commerce mondial car le commerce international prend une part de plus en plus importante, commerce avec l'océan Indien, les amériques coloniales (commerce triangulaire) qui fait la fortune des négociants de Nantes, Saint Malo, Liverpool.
 

Bayard, Françoise, Guignet, Philippe. L'économie frnaçaise aux XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles. Paris, Ophrys, Coll Synthèse Histoire, 1991.

Braudel, Fernand, Labrousse Ernest (dir). Histoire économique et sociale de la France. Paris, PUF, 1970, rééd dans la collection Quadrige (PUF 1983).

 

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