Le mardi 9 octobre 1792,
l'assemblée décide de rendre exécutive la "Loi sur le divorce". Partant
du constat que le mariage est un simple contrat civil, cette loi est une
conséquence nécessaire de la nouvelle conception "révolutionnaire".
Certes, le divorce existait à l'époque Romaine ("divortium communi
consensu"), mais il disparut progressivement sous l'influence de
l'Eglise. Seule, la Réforme s'y montrera favorable, avant qu'une loi ne
vienne régler la question (aboli en 1816, le divorce sera rétabli en
1884):
(Présidence de Lacroix)
(Le président annonce que la loi sur le
divorce, décrétée par l'Assemblée législative a son plein effet à
partir d'aujourd'hui).
(Un des secrétaires en donne lecture)
LOI SUR LE DIVORCE
L'Assemblée nationale, considérant combien il importe de faire
jouir les Français de la faculté du divorce, qui résulte de la
liberté individuelle dont un engagement indissoluble serait la
perte; considérant que déjà plusieurs époux n'ont pas attendu, pour
jouir des avantages de la disposition constitutionnelle, suivant
laquelle le mariage n'est qu'un contrat civil, que la loi eût réglé
le mode et les effets du divorce, décrète qu'il y a urgence.
L'Assemblée nationale, après avoir décrété l'urgence, décrète sur
les causes, le mode et les effets du divorce, ce qui suit:
I) Causes du divorce
- Article Ier :
-
Le mariage se dissout par le divorce.
- Article II :
-
Le divorce a lieu par le consentement mutuel
des époux.
- Article III :
-
L'un des époux peut faire prononcer le
divorce sur la simple allégation d'incompatibilité d'humeur ou
de caractère.
- Article IV :
-
Chacun des époux peut également faire
prononcer le divorce sur des motifs déterminés; savoir : 1° sur
la démence, la folie ou la fureur de l'un des époux; 2° sur la
condamnation de l'un d'eux à des peines afflictives ou
infamantes; 3° sur les crimes, sévices ou injures graves de l'un
envers l'autre; 4° sur le dérèglement de mœurs notoire; 5° sur
l'abandon de la femme par le mari, ou du mari par la femme
pendant deux ans au moins; 6° sur l'absence de l'un d'eux, sans
nouvelles, au moins pendant cinq ans; 7° sur l'émigration, dans
les cas prévus par les lois, notamment par le décret du 8 avril
1792.
- Article V :
-
Les époux maintenant séparés de corps par
jugement exécuté ou en dernier ressort auront mutuellement la
faculté de faire prononcer leur divorce.
- Article VI :
-
Toutes demandes et instances en séparation de
corps non jugées sont éteintes et abolies; chacune des parties
paiera ses frais; les jugements de séparation non exécutés ou
attaqués par l'appel demeurent comme non avenus; le tout sauf
aux époux à recourir à la voie du divorce, aux termes de la
présente loi.
- Article VII :
-
A l'avenir, aucune séparation de corps ne
pourra être prononcée; les époux ne pourront être désunis que
par le divorce.
II) Modes du divorce. - Mode du divorce
par consentement mutuel.
- Article Ier :
-
Le mari et la femme qui demanderont
conjointement le divorce seront tenus de convoquer une assemblée
de six au moins des plus proches parents, ou d'amis, à défaut de
parents; trois des parents ou amis seront choisis par le mari,
les trois autres seront choisis par la femme.
- Article II :
-
L'Assemblée sera convoquée à jour fixe et
lieu convenu, avec les parents ou amis : il y aura au moins un
mois d'intervalle entre le jour de la convocation et celui de
l'assemblée; l'acte de convocation sera signifié par un huissier
aux parents ou amis convoques.
- Article III :
-
Si au jour de la convocation un ou plusieurs
des parents ou amis convoqués ne peuvent se trouver à
l'assemblée, les époux les feront remplacer par d'autres parents
ou amis.
- Article IV :
-
Les deux époux se présenteront en personne à
l'assemblée, ils y exposeront qu'ils demandent le divorce Les
parents ou amis assemblés leur feront les observations et
représentations qu'ils jugeront convenables; si les époux
persistent dans leur dessein, il sera dressé par un officier
municipal, requis à cet effet, un acte contenant simplement que
les parents et amis ont entendu les époux en assemblée dûment
convoquée, et qu'ils n'ont pu les concilier : la minute de cet
acte, signée des membres de l'assemblée, des deux époux et de
l'officier municipal, avec mention de ceux qui n'auront su ou pu
signer, sera déposée au greffe de la municipalité; il en sera
délivré expédition aux époux gratuitement, et sans droit
d'enregistrement.
- Article V :
-
Un mois au moins, et six mois au plus, après
la date de l'acte énoncé dans l'article précédent, les époux
pourront se présenter devant l'officier public chargé de
recevoir les actes de mariage, dans la municipalité où le mari a
son domicile; et, sur leur demande, cet officier sera tenu de
prononcer leur divorce; sans entrer en connaissance de cause,
les parties et l'officier public se conformeront aux formes
prescrites à ce sujet dans la loi sur les actes de naissance,
mariage et décès.
- Article VI :
-
Après le délai de six mois, mentionné dans le
précédent article, les époux ne pourront être admis au divorce
par consentement mutuel, qu'en observant de nouveau les mêmes
délais et les mêmes formalités.
- Article VII :
-
En cas de minorité des époux, ou de l'un
d'eux, ou s'ils ont des enfants nés de leur mariage, les délais
ci-dessus indiqués, d'un mois pour la convocation de l'assemblée
de famille, et d'un mois au moins après l'acte de
non-conciliation, pour faire prononcer le divorce, seront
doubles; mais le délai fatal de six mois, après l'acte de
non-conciliation, pour faire prononcer le divorce, restera le
même.
Mode du divorce, sur la demande d'un des
époux, pour simple cause d'incompatibilité.
- Article VIII :
-
Dans le cas où le divorce sera demandé par
l'un des époux contre l'autre, pour cause d'incompatibilité
d'humeur ou de caractère, sans autre indication de motifs, il
convoquera une première assemblée de parents, ou d'amis à défaut
de parents; laquelle ne pourra avoir lieu qu'un mois après la
première convocation.
- Article IX :
-
La convocation sera faite devant l'un des
officiers municipaux du domicile du mari, en la maison commune
du lieu, aux jour et heure indiqués par cet officier; l'acte en
sera signifié à l'époux défendeur, avec déclaration des noms et
demeures des parents ou amis, au nombre de trois au moins, que
l'époux demandeur entend faire trouver à l'assemblée, et
invitation à l'époux défendeur de comparaître à l'assemblée, et
d'y faire trouver de sa part également trois, au moins, de ses
parents ou amis.
- Article X :
-
L'époux demandeur en divorce sera tenu de se
présenter en personne à l'assemblée ; il entendra, ainsi que
l'époux défendeur, s'il comparaît, les représentations des
parents ou amis, à l'effet de les concilier; si la conciliation
n'a pas lieu, l'assemblée se prorogera à deux mois, et les époux
y demeureront ajournés; l'officier municipal sera tenu de se
retirer pendant les explications et les débats de famille; en
cas de non-conciliation, il sera rappelé dans l'assemblée pour
en dresser acte, ainsi que de la prorogation dans la forme
prescrite par l'article IV ci-dessus; expédition de cet acte
sera délivrée à l'époux demandeur, qui sera tenu de le faire
signifier à l'époux défendeur, si celui-ci n'a pas comparu à
l'Assemblée.
- Article XI :
-
A l'expiration des deux mois, l'époux
demandeur sera tenu de comparaître de nouveau en personne; si
les représentations qui lui seront faites, ainsi qu'à son époux,
s'il comparaît, ne peuvent encore les concilier, l'assemblée se
prorogera à trois mois, et les époux y demeureront ajournés; il
en sera dressé acte, et la signification en sera faite, s'il y a
lieu, comme au cas de l'article précédent.
- Article XII :
-
Si à la troisième séance de l'assemblée, à
laquelle le provoquant sera également tenu de comparaître en
personne; il ne peut être concilié, et persiste définitivement
dans sa demande, acte en sera dressé; il lui en sera délivré
expédition, qu'il fera signifier à l'époux défenseur.
- Article XIII :
-
Si aux première, seconde ou troisième
assemblées, les parents ou amis indiqués par le demandeur en
divorce ne peuvent s'y trouver, il pourra les faire remplacer
par d'autres à son choix; l'époux défendeur pourra aussi faire
remplacer à son choix les parents ou amis qu'il aura fait
présenter aux premières assemblées, et enfin l'officier
municipal lui-même, chargé de la rédaction des actes de ces
assemblées, pourra en cas d'empêchement, être remplacé par un de
ses collègues.
- Article XIV :
-
Huitaine au moins, ou au plus dans les six
mois après la date du dernier acte de non-conciliation, l'époux
provoquant pourra se présenter, pour faire prononcer le divorce,
devant l'officier public chargé de recevoir les actes de mariage
dans la municipalité où le mari a son domicile; il observera,
ainsi que l'officier public, les formes prescrites à ce sujet
dans la loi sur les actes de naissance, mariage et décès; après
les six mois, il ne pourra y être admis qu'en observant de
nouveau les mêmes formalités et les mêmes délais.
Mode du divorce sur la
demande de l'un des époux pour cause déterminée
- Article XV :
-
En cas de divorce demandé par l'un des époux,
pour l'un des sept motifs déterminés, indiqués dans l'article IV
du paragraphe premier ci-dessus, ou pour cause de séparation de
corps aux termes de l'article V, il n'y aura lieu à aucun détail
d'épreuve.
- Article XVI :
-
Si les motifs déterminés sont établis par des
jugements, comme dans les cas de séparation de corps ou de
condamnation à des peines afflictives ou infamantes, l'époux qui
demandera le divorce pourra se pourvoir directement pour le
faire prononcer devant l'officier public chargé de recevoir les
actes de mariage dans la municipalité du domicile du mari;
l'officier public ne pourra entrer en aucune connaissance de
cause; s'il s'élève devant lui des contestations sur la nature
ou la validité des jugements représentés, il renverra les
parties devant le tribunal de district, qui statuera en dernier
ressort, et prononcera si ces jugements suffisent pour autoriser
le divorce.
- Article XVII :
-
Dans le cas de divorce pour absence de cinq
ans sans nouvelles, l'époux qui la demandera pourra également se
pourvoir directement devant l'officier public de son domicile,
lequel prononcera le divorce sur la représentation qui lui sera
faite d'un acte de notoriété constatant cette longue absence.
- Article XVIII :
-
A l'égard du divorce fondé sur les autres
motifs déterminés, indiqués dans l'article IV du paragraphe
premier ci-dessus, le demandeur sera tenu de se pourvoir devant
les arbitres de famille en la forme prescrite dans le code de
l'ordre judiciaire pour les contestations d'entre mari et femme.
- Article XIX :
-
Si, d'après la vérification des faits, les
arbitres jugent la demande fondée, ils renverront le demandeur
en divorce devant l'officier du domicile du mari pour faire
prononcer le divorce.
- Article XX :
-
L'appel du jugement arbitral en suspendra
l'exécution; cet appel sera instruit sommairement et jugé dans
le mois.
III) Effets du divorce
par rapport aux époux
- Article Ier :
-
Les effets du divorce, par rapport à la
personne des époux, sont de rendre au mari et à la femme leur
entière indépendance, avec la faculté de contracter un nouveau
mariage.
- Article II :
-
Les époux divorcés peuvent se remarier
ensemble. Ils ne pourront contracter avec d'autres un nouveau
mariage qu'un an après le divorce, lorsqu'il a été prononcé sur
consentement mutuel, ou pour simple cause d'incompatibilité
d'humeur ou de caractère.
- Article III :
-
Dans le cas où le divorce a été prononcé pour
cause déterminée, la femme ne peut également contracter un
nouveau mariage avec un autre que son premier mari, qu'un an
après le divorce, si ce n'est qu'il soit fondé sur l'absence du
mari depuis 5 ans sans nouvelles.
- Article IV :
-
De quelque manière que le divorce ait lieu,
les époux divorcés seront réglés, par rapport à la communauté de
biens ou à la société d'acquêts qui a existé entre eux, soit par
la loi, soit par la convention, comme si l'un d'eux était
décédé.
- Article V :
-
Il sera fait exception à l'article précédent
pour le cas où le divorce aura été obtenu par le mari contre la
femme, pour l'un des motifs déterminés, énoncés dans l'article
IV du paragraphe premier ci-dessus, autre que la démence, la
folie ou la fureur. La femme, en ce cas, sera privée de tous
droits et bénéfices dans la communauté de biens ou société
d'acquêts; mais elle y reprendra les biens qui sont entrés de
son côté.
- Article VI :
-
A l'égard des droits matrimoniaux emportant
gain de survie, tels que douaire, augment de dot ou agencement,
droit de viduité, droit de part dans les biens meubles ou
immeubles du prédécédé, ils seront, dans tous les cas de
divorce, éteints et sans effets. Il en sera de même des dons ou
avantages, pour cause de mariage, que les époux ont pu se faire
réciproquement ou l'un à l'autre, ou qui ont pu être faits à
l'un d'eux par les père, mère ou autres parents de l'autre. Les
dons mutuels, faits depuis le mariage et avant le divorce,
resteront aussi comme non avenus sans effet. Le tout, sauf les
indemnités ou pensions énoncés dans les articles qui suivent.
- Article VII :
-
Dans le cas de divorce pour l'un des motifs
déterminés, énoncés dans l'article IV du paragraphe premier
ci-dessus, celui qui aura obtenu le divorce sera indemnisé de la
perte des effets du mariage dissous et de ses gains de survie,
dons et avantages, par une pension viagère sur les biens de
l'autre époux, laquelle sera réglée par les arbitres de famille,
et courra du jour de la prononciation du divorce.
- Article VIII :
-
Il sera également alloué par des arbitres de
famille, dans tous les cas de divorce, une pension alimentaire à
l'époux divorcé qui se trouvera dans le besoin, autant néanmoins
que les biens de l'autre époux pourront la supporter, déduction
faite de ses propres besoins.
- Article IX :
-
Les pensions d'indemnités ou alimentaires,
énoncées dans les articles précédents, seront éteintes si
l'époux divorcé qui en jouit contracte un nouveau mariage.
- Article X :
-
En cas de divorce pour cause de séparation de
corps, les droits et intérêts des époux divorcés resteront
réglés, comme ils l'ont été par les jugements de séparation, et
selon les lois existantes lors de ces jugements, ou par les
actes et transactions passés entre les parties.
- Article XI :
-
Tout acte de divorce sera sujet aux mêmes
formalités d'enregistrement et publication que l'étaient les
jugements de séparation, et le divorce ne produira, à l'égard
des créanciers des époux, que les mêmes effets que produisaient
les séparations de corps ou de biens.
IV) Effets du divorce
par rapport aux enfants
- Article Ier :
-
Dans les cas du divorce par consentement
mutuel, ou sur la demande de l'un des époux pour simple cause
d'incompatibilité d'humeur ou de caractère, sans autre
indication de motifs, les enfants nés du mariage dissous seront
confiés, savoir: les filles à la mère, les garçons âgés de moins
de sept ans également à la mère; au-dessus de cet âge, ils
seront remis et confiés au père, et néanmoins le père et la mère
pourront faire à ce sujet tel autre arrangement que bon leur
semblera.
- Article II :
-
Dans tous les cas de divorce pour cause
d'indemnité, il sera réglé en assemblée de famille auquel des
époux les enfants seront confiés.
- Article III :
-
En cas de divorce pour cause de séparation de
corps, les enfants resteront à ceux auquel ils ont été confiés
par jugement ou transaction, ou qui les ont à leur garde et
confiance depuis plus d'un an; s'il n'y a ni jugement ni
transaction, ni possession annale, il sera réglé en assemblée de
famille auquel, du père ou de la mère séparés, les enfants
seront confiés.
- Article IV :
-
Si le mari ou la femme divorcés contractent
un nouveau mariage, il sera également réglé en assemblée de
famille, si les enfants qui leur étaient confiés leur seront
retirés, et à qui ils seront remis.
- Article V :
-
Soit que les enfants, garçons ou filles,
soient confiés au père seul ou à la mère seule, soit à l'un et à
l'autre, soit à des tierces personnes, le père et la mère ne
seront pas moins obligés de contribuer aux frais de leur
éducation et entretien; ils y contribueront en proportion des
facultés et revenus réels et industriels de chacun d'eux.
- Article VI :
-
La dissolution du mariage par divorce ne
privera dans aucun cas les enfants nés de ce mariage, des
avantages qui leur étaient assurés par les lois ou par les
conventions matrimoniales; mais le droit n'en sera ouvert à leur
profit que comme il le serait si leur père et mère n'avaient pas
fait de divorce.
- Article VII :
-
Les enfants conserveront leur droit de
successibilité à leur père et à leur mère divorcés; s'il
survient à ces derniers d'autres enfants de mariages
subséquents, les enfants de différents lits succéderont en
concurrence et par égales portions.
- Article VIII :
-
Les époux divorcés, ayant enfants, ne
pourront en se remariant faire de plus grands avantages, pour
cause de mariage, que ne le peuvent, selon les lois, les époux
veufs qui se remarient ayant enfants.
- Article IX :
-
Les contestations relatives au droit des
époux d'avoir un ou plusieurs de leurs enfants à leur charge et
confiance; celles relatives à l'éducation, aux droits et
intérêts de ces enfants, seront portées devant des arbitres de
famille, et les jugements rendus en cette matière seront, en cas
d'appel, exécutés par provision.
(...)
Source:
"Journal officiel de la Convention Nationale - La Convention Nationale
(1792-1793), Procès-verbaux officiels des séances depuis le 21 septembre
1792, Constitution de la grande assemblée révolutionnaire, jusqu'au 21
janvier 1793, exécution du roi Louis XVI, seule édition authentique et
inaltérée contenant les portraits des principaux conventionnels et des
autres personnages connus de cette sublime époque", auteur non
mentionné, Librairie B. Simon & Cie, Paris, sans date, pages 92 à 95.
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