Traiter ensemble les noms basques et gascons semblera à certains une
hérésie, mais se justifie par le fait que, dans un cas comme dans l'autre,
on a affaire à un même procédé de formation des patronymes : chaque chef de
famille est ici identifié par la maison où il habite, et donc la plupart des
noms utilisés sont au départ des toponymes.
Or, sur les cent noms les plus portés dans ce département vers 1900, on n'en
trouve que sept qui ne soient pas des toponymes : outre les inévitables
Garcia et Lopez, il s'agit du prénom
Pierre, rencontré sous les formes
Pere
et Peyre (dans le second cas il peut aussi s'agir d'un rocher), également
porté en composition dans le patronyme Pétrissans (Pierre + Sans, Sanz,
ancien nom de baptême issu du latin Sanctus).
Dernières exceptions, les noms
Barbé, qui semble correspondre au métier de barbier, et
Laulhé (= gardien de
brebis).
Il reste donc 93% de toponymes, ce qui, avouons-le, est énorme !
La maison :
Elle se dit en basque etxe, un terme que l'on rencontre dans le patronyme le
plus porté dans les Pyrénées-Atlantiques,
Etcheverry (et sa variante Etcheberry), qui signifie "la maison neuve", le nom étant suivi de
l'adjectif, ce qui est la règle aussi bien en basque qu'en occitan, où les
maisons neuves sont à l'origine des patronymes Cazenave, Casenave et
Maisonnave.
Parmi les noms basques les plus répandus, on retrouve la maison
avec Etchart (le lieu situé entre les maisons),
Etchegaray (la maison d'en
haut), Etchebarne (la maison d'en bas),
Etchepare (la maison principale, la
maison noble), ou encore Etchemendy (la maison sur la
montagne, plutôt que
la montagne de la maison) et Etchegoyen (la maison la plus élevée).
La maison gasconne se retrouve dans le patronyme
Lacaze, ou encore dans le
dérivé Cazaux (= enclos, puis ferme).
Au centre d'une exploitation rurale,
elle devient une ferme et donne naissance au nom de famille
Laborde (second
nom le plus porté dans les Pyrénées-Atlantiques), à son diminutif
Labourdette (la petite ferme), ainsi qu'à
Bordenave (la nouvelle ferme).
La
maison peut aussi être une demeure importante, voire noble,
en occitan Lassalle, Salles, en
basque Sallaberry, mais aussi
Jaureguy et Jaureguiberry.
Il peut enfin s'agir d'une auberge (gascon
Loustaunau = l'auberge neuve) ou
d'un hôpital (Ospital, Dospital), encore que dans ce dernier cas il s'agisse
plutôt de la maison située près de l'hôpital, tout comme
Abadie est la
maison près de l'abbaye, dépendant de l'abbaye.
Souvent isolée au départ, la maison devient peu à peu hameau, puis village,
en basque hiri, iri : Irigoyen, Hirigoyen (le hameau le plus élevé),
Iriart,
Hiriart (entre les hameaux),
Iribarne (hameau situé à l'intérieur, en
contrebas).
A l'intérieur du village, on distinguera la maison par sa
situation : près de l'église (basque Elissalde), près de la porte, de la
barrière ou sur la place (Laporte, Barrère, Laplace, encore
que pour ce
dernier nom on préfère parfois le sens de "métairie"), au bord de la route,
du chemin (Carrère, Lavie, Camy
en gascon, Bidegain
en basque, où Bidart
signifie pour sa part "entre les chemins"), ou tout simplement en haut
(Lassus, Capdevielle), en bas (Lajus) ou au milieu (Minvielle).
La végétation, les cultures :
Une autre façon de désigner la maison, c'est de l'associer à la végétation
ou aux cultures qui l'entourent. A tout seigneur tout honneur,
le chêne,
présent dans le basque Amestoy, Damestoy (bois de chênes tauzins) ou dans
le
gascon Cassou.
Le hêtre est représenté par
le gascon Dufau (encore que
certains préfèrent voir en fau un forgeron) et
le basque Fagalde.
Le
châtaignier donne en occitan
Castagnet, il est plus rare
en basque, où on ne
le rencontre guère que dans Gastambide (le chemin du châtaignier).
Le bois,
la forêt, sont représentés par les noms gascons
Hourcade, Fourcade,
Lafourcade (qui peuvent aussi désigner un carrefour).
Les ajoncs sont à
l'origine du gascon Touya, tandis que le nom
Labarthe évoque pour les uns un
lieu buissonneux, pour les autres un
terrain humide.
De son côté, Lalanne a
le sens de lande, terrain inculte.
Le nom Sarthou ne désigne sans doute pas un petit tailleur, mais
une terre
essartée, le défrichement étant aussi à l'origine de Lartigue.
Une fois les
terres défrichées, elles deviennent souvent des vignes (Lavigne, Vignau),
des vergers (Vergez), des
champs (Campagne) ou des
cultures en terrasses (Courrèges).
Mais les montagnes pyrénéennes sont surtout riches en
pâturages. L'occitan Prat
désigne un pré, et le nom le plus répandu est
le
basque Larre, avec le sens de
pâturage naturel (plutôt que lande, une autre
acception du terme), que l'on retrouve aussi dans Larralde, Larronde (= à
côté du pâturage), Larramendy (la montagne du pâturage ou le pâturage
montagnard).
Hydronymes et oronymes
:
On appelle oronymes les termes évoquant le relief. Ils sont très présents
dans les noms de famille gascons :
Lacoste désigne la maison située en haut
d'une côte, Dupouy la maison sur une colline, un sommet (latin podium), Candau
la maison sur un versant.
Le nom Lasserre, généralement défini comme
une ligne de crête, désigne en fait le plus souvent un plateau escarpé.
Lorsqu'une forteresse s'édifie sur un sommet rocheux, le lieu s'appelle Larroque, autre nom de famille très répandu.
Le nom basque Garat
évoque un
lieu élevé, tout comme Mendiboure (ou Mendiburu =
l'extrémité de la
montagne) ou encore Biscay (bizkai, dérivé de
bizkar = dos, coteau, col).
On
peut aussi considérer comme des oronymes les noms Aguerre, Daguerre (basque
agerre = lieu en vue) et Dachary (lieu rocheux).
Quant aux hydronymes, ils se rapportent à l'eau, en particulier aux
rivières.
D'où les noms gascons Labat (= la vallée et non l'abbé),
Larrieu (= le ruisseau, le cours d'eau),
Aguer (la source, le bassin).
Le basque Duhalde évoque un torrent (uhalde), mais il semble difficile de trouver
l'eau dans le nom Urruty, qui correspond à un adverbe signifiant "au loin"
(donc la maison éloignée).
Par contre, la vallée (aran, haran) apparaît dans
Harambide (le chemin de la vallée), et la source, la fontaine dans
Ithurbide,
Dithurbide (le chemin de la fontaine).
D'autres toponymes :
Reste à étudier quelques toponymes liés à la présence de l'homme et à ses
activités.
Le gascon Claverie pourrait évoquer la forge où l'on fabrique des
clous, mais il a surtout le sens de "lieu clôturé, enclos".
Par contre,
Lafargue désigne bien une forge, tandis que
le basque Harguindeguy
signifie
"la maison du maçon".
Dès la plus haute antiquité, l'homme s'est appliqué à délimiter son
territoire.
D'où la grande présence des noms Lafitte, Laffitte, Lahitte, qui
désignent en occitan des bornes (latin
ficta = pierre plantée), tandis que
Lamarque évoque une frontière, une limite.
L'homme a aussi creusé des
fossés, souvent pour protéger son village fortifié (Barat et son
diminutif Baradat).
Ses activités pastorales l'ont amené à construire des abris
en
montagne (Cabanne).
Son ardeur religieuse lui a fait planter des croix
(gascon Lacrouts,
basque Curutchet, ces deux
noms pouvant évoquer aussi un
carrefour).
La liste pourrait être encore beaucoup plus longue, mais, on l'aura compris,
cet article ne peut épuiser le sujet.
L'essentiel était pour moi de vous
présenter l'originalité d'une région où, on l'aura bien compris, l'homme
porte presque toujours le nom de sa maison, éventuellement de son village,
phénomène presque unique en France. |