On l'a vu dans une précédente chronique, l'orme et le chêne sont deux arbres
chargés de symboles.
Il n'est donc pas étonnant de les trouver associés à de
nombreux noms de lieux, devenus ensuite noms de famille.
Dans ce domaine, le
chêne est d'ailleurs beaucoup plus fécond que l'orme, ne serait-ce qu'en
raison des diverses variétés de chênes rencontrées en France et en Europe.
Un arbre gaulois :
Le mot "chêne" vient du gaulois et pourrait même être plus ancien.
On le
rencontre sous une forme cassano, latinisée en cassanus
puis casnus (866).
Il faut remarquer que le latin quercus n'a pas réussi à pénétrer en Gaule,
sans doute à cause des cultes druidiques associés à cet arbre depuis des
temps très reculés.
De cette forme gauloise, les peuples occitans n'ont
souvent conservé que la première partie, ce qui donne des noms tels que
Casse(s), Casso, Cassou, Cassy, Ducasse, Ducassy, Delcasso. Les bois de
chênes sont pour leur part appelés Cassoulet, Cassouly, Cassagne(s),
Cassaing, Cassignol, Cassareuil, des formes qui deviennent
Chassagne,
Chassaing, Chassaigne dans le Massif Central.
Dans une grande partie de la France, on rencontre les noms de famille
Chêne, Chesne, et les dérivés
Chesnel (Normandie),
Chenet (Loire),
Chesneau,
Chesnault, Chesnot (Ouest et
Centre), Duchêne, Duchesne, Duchesneau,
Chesnais, Chesney, Chesnoy, ou encore le composé
Beauchêne.
En Normandie et
surtout en Picardie, le son
K devant A s'est maintenu, donnant naissance aux
Quenel, Quesnel, Beauquesne, Debeauquesne, Duquesne, Duquenne, Duquesnoy.
Ailleurs, c'est le A qui s'est maintenu, et l'on rencontre des
Chanois en
Franche-Comté, mais aussi, depuis
la Bourgogne jusqu'au Poitou, des
Chagnot,
Chagnat, Chagnon, Chaignaud, eux-mêmes dérivés de
Chagne ou de Chaigne.
Les variétés de chênes :
Nous l'avons tous appris autrefois à l'école, il existe
des chênes à
feuilles caduques, d'autres à feuilles persistantes.
Ces derniers, surtout
présents dans les régions méridionales, sont eux aussi à l'origine de bien
des patronymes.
Le chêne vert se dit en latin Quercus
ilex. Il a donné le
mot français "yeuse", ainsi que les noms
cévenols Deleuze, Elzière, Euzet,
Euzières.
C'est également lui qui est à l'origine du catalan Alzina et du
castillan Encinas.
Le chêne vert est aussi appelé Carrasco en
Espagne
(dérivés : Carrascal, Carrasquillo) et on le retrouve dans le basque Arteaga
(arte = chêne vert).
Autre chêne à feuillage persistant, le chêne kermès. Il est présent dans le
basque Chapartegui, et en France il est
associé au terme préceltique garric,
à l'origine de Garrigue (terme qui a par
la suite désigné une lande en
moyenne montagne) et, même si on propose parfois d'autres étymologies, des
nombreux Jarre, Jarrier, Jarry, présents surtout en
Savoie et en
Rhône-Alpes.
Autre arbre caractéristique des régions méditerranéennes,
le
chêne-liège (latin suber), qui donne le
catalan Sureda ou le
portugais Sobral.
Je ne sais pas si le chêne chevelu (Quercus cerrus) a un feuillage caduc ou
persistant, mais c'est lui que l'on rencontre dans le nom
italien Cerri, et
sans doute dans Cerret (il est aussi étymologiquement à l'origine de
l'espagnol Carrasco).
Par contre, le chêne rouvre (Quercus robur) a des
feuilles caduques.
Il donne dans les Alpes et
le Lyonnais les patronymes
Rivoire, Laravoire, et, plus à
l'ouest, Roure, Rovira, Rouvier, Rouvière,
Royre, Roire, ou encore le poitevin
Rouvreau et l'espagnol
Robles.
Le chêne tauzin (Quercus tozza), à feuilles cotonneuses, est caractéristique
du Sud-Ouest.
C'est lui que l'on retrouve dans les noms de famille Tauzia,
Tauziat, Tauzin, Tauzy ou encore Tauziède.
Le même arbre est à l'origine du
basque Amestoy.
Reste un dernier chêne sur lequel je n'ai aucune idée,
c'est celui qui vient du gaulois derulla et qui a donné des patronymes tels que Dreuillet ou Drouillard, ce dernier nom pouvant aussi évoquer l'alisier en
occitan.
Des chênes étrangers :
C'est apparemment une même racine germanique qui a servi à nommer le chêne
en allemand, en néerlandais, dans
les langues scandinaves ou en
anglais.
Chez les Allemands, et donc aussi en
Alsace, le chêne se dit Eiche.
Il donne
de nombreux noms de famille, soit sous une forme simple (Eich, Eiche, Eichen),
soit en composition, par exemple avec le nom Eichenlaub (feuille de chêne).
Aux Pays-Bas, et donc aussi
en pays flamand, on utilise la forme
eik(en), à
l'origine des noms Van Eyck, Van der Eyken, Verreken, avec d'innombrables
variantes graphiques.
En Suède, le patronyme Ek évoque lui aussi le chêne.
On le trouve surtout en composition, par exemple dans Ekberg (la montagne du
chêne) ou Ekström (la rivière du chêne).
Restent les Anglais, avec les noms
de famille Oak, Oake, Oakes, ou les dérivés
Oakland (pays du chêne) et
Oakley (bois de chênes). Toujours en Grande-Bretagne, l'adjonction de la
préposition archaïque atten donne des noms tels que
Noake, Attock, Attack.
Les chênes slaves sont eux aussi très importants en onomastique.
Le chêne se
dit en polonais dab,
deb, le A ou le E étant ici des voyelles nasales (= AN,
EN).
Il donne entre autres les noms Dabek, Dabkowski, Debinski, Debowski,
Debski, toutes ces formes pouvant s'écrire avec un
m : Dembski, Dembowski
par exemple.
Le chêne tchèque est à l'origine des noms Dub, Dubcek, Dubik,
Dubsky. Toujours avec la même racine, notons le bulgare
Deubov ou le russe
Dubnikov.
Les Portugais appellent quant à eux leur chêne
Carvalho, les Basques
utilisant le terme Aristoy (Haristoy) pour désigner une chênaie.
Ce qui nous
ramène en France, et nous finirons notre voyage en Bretagne, pays des
druides, où le mot derw se retrouve notamment dans les noms de famille Le Derff, Le Déroff ou Le Droff.
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