« Comment pouvez-vous écrire que le nom
Jalabert est d'origine germanique, alors qu'il
est présent depuis dix siècles en Languedoc ? » Telle est la question
qui, sous des formes diverses, revient le plus souvent dans mon courrier...
Il est vrai que la formulation est trompeuse et mérite d'être expliquée,
d'autant que ces fameux noms de personne d'origine germanique sont très
présents dans toute la France, et même dans des
pays plus méridionaux tels que l'Italie, l'Espagne ou
le Portugal.
Des noms de
guerriers :
Bien entendu, ces noms ont été introduits en France (un pays qui
lui aussi porte un nom d'origine germanique !) avec les grandes
invasions qui commencent au Ve siècle, lorsque l'empire romain s'avère
incapable de les repousser.
Les peuples germaniques, venus sans doute au départ de Scandinavie, portent
des noms que nous avons tous appris à l'école : Goths,
Ostrogoths, Wisigoths, Vandales, Burgondes, Francs sont les plus
connus.
Leurs qualités belliqueuses se retrouvent dans les anthroponymes qui leur
sont attribués, des noms formés de deux éléments dont beaucoup ont un lien
direct avec la guerre : hari (armée),
helm (casque),
gari (prêt pour le combat, d'autres auteurs traduisant ce mot par
« lance »), ag
(lame de l'épée), brand (épée
flamboyante), gund, hild (combat),
sig (victoire).
D'autres éléments mettent en valeur leur vaillance, leur bravoure ou leur
cruauté : bald (audacieux),
boso (méchant),
grim (cruel), hard (dur, brave),
ces qualités pouvant aussi s'exprimer par des métaphores animales :
bern (ours), arn
(aigle), wulf (loup).
Attention cependant, il ne faut pas chercher à donner un sens à
l'agglutination des deux éléments du nom, erreur trop souvent commise
autrefois lorsqu'on voulait à tout prix faire du second élément un adjectif
qualifiant le premier.
Il est vrai que cela semble souvent marcher : Bernhard
(Bernard) pourrait en effet se traduire par «
ours brave ». Mais cela devient beaucoup plus
délicat lorsqu'on a affaire à Fridric (Frédéric),
difficilement traduisible par « paix puissante
», d'autres assemblages étant encore plus absurdes.
Un phénomène
de mode :
Ces noms germaniques sont bien entendu portés par tous les
rois, comtes et autres barons qui s'emparent du pouvoir après la chute de
l'empire romain.
Clovis correspond à
Hlodowic (hlodo = gloire +
wic = combat), un anthroponyme qui est
également à l'origine du prénom Louis.
Même chose pour l'inoubliable Dagobert (dag
= jour + berht = brillant, illustre) et
bien sûr pour Charles, dit le Grand (Charlemagne),
nom formé sur la racine karl (= homme).
Très vite, tous ces anthroponymes vont aussi être appréciés des populations
locales, selon un phénomène de mode qui ne date pas du XXe siècle : dès l'an
Mil et sans doute bien avant, le choix du prénom (à l'époque nom unique)
était lié à la popularité de celui-ci, qu'il ait été porté par un saint ou
un homme illustre.
Or, à cette époque, tous les hommes illustres ayant des noms germaniques,
ceux-ci vont faire une sérieuse concurrence aux traditionnels noms d'origine
latine, grecque ou hébraïque, devenus
d'ailleurs trop peu nombreux pour une population grandissante.
Ainsi, en Catalogne, dès le Xe siècle, le nom le plus populaire est
Guillaume (wil
= volonté + helm = casque),
largement en tête devant Pierre, Jacques et Dominique,
eux-mêmes souvent battus par Raymond (ragin
= conseil + mund = protecteur),
Bernard, Arnaud (arn
= aigle + wald = gouverner)
ou encore Béranger (berin
= ours + gari = prêt pour le combat).
Tous ces prénoms sont par la suite devenus noms de famille, et on les
rencontre aujourd'hui au hit-parade des patronymes :
Bernard, Robert et Richard font partie des six noms de famille les
plus portés en France.
Suivent un peu plus loin Bertrand, Girard, Lambert,
Guérin, Garnier, Gauthier (et Gautier),
Robin, tous noms de personne d'origine germanique figurant parmi les
cinquante patronymes les plus répandus.
Particularismes locaux et variantes régionales :
Le même nom germanique peut prendre diverses formes selon
la région où il est porté, la prononciation n'étant évidemment pas la même
dans le Nord ou dans le Sud.
Revenons à Guillaume, dont, rappelons-le, la
forme de base est Wilhelm. Dans presque toute
la France, le W initial s'est palatalisé en
G : Guillaume, mais aussi
l'occitan Guilhem et
le catalan Guillem,
le castillan Guillermo
ou l'italien Guglielmo.
Par contre, cette palatalisation ne s'est faite ni en Allemagne, ni en
Belgique, ni dans la France du Nord et de l'Est , où l'on trouve les noms
Wuillaume, Vuillaume, Vuillerme ou encore
Wilhem, Willems (en anglais Williams).
Autre phénomène : certains peuples germaniques ont été plus présents
dans quelques régions, et y ont laissé des traces sous forme de noms qu'on
ne trouve presque nulle part ailleurs. L'exemple du
Rouergue est particulièrement frappant, avec de nombreux noms
commençant par Enjal ou
Enjel, une racine qui désigne soit la lance,
soit un peuple germanique (les Angles, à
l'origine du nom Angleterre).
On rencontre donc dans le Tarn et l'Aveyron les
patronymes Enjalbal, Enjalbert, Enjalran,
Enjalric ou Enjalvin, où la racine
enjal est suivie respectivement de
bald (audacieux),
berht (brillant), ramn (corbeau),
ric (puissant) et
win (ami).
On pourrait multiplier les exemple, mais tel n'est pas l'objet de cet
article.
Une chose est claire en tout cas : si vous lisez sur GeneaNet que
votre nom est d'origine germanique, n'allez pas croire que vos ancêtres sont
eux-mêmes germaniques : c'est évidemment possible dans certains cas, mais
c'est le plus souvent faux, sauf bien sûr si vous descendez de Charlemagne !
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