Chacun de nous l'a appris à l'école, le français vient
du latin. La phonétique historique permet de définir les règles, souvent
très simples, qui expliquent la transformation des mots latins (ou
autres) en mots français, sachant qu'il a fallu des siècles pour que
celle-ci soit réellement achevée..
Bien entendu, la connaissance de telles règles est très utile, voire
indispensable, pour tenter d'expliquer certains noms de famille. Un exemple
nous aidera à mieux comprendre les choses, celui du mot "
chèvre ".
Au départ, nous avons le latin cápra(m), que l'on retrouve dans des
mots de formation savante tels que caprin et caprice. Le passage de
cápra(m)
à chèvre obéit à trois règles fondamentales :
- le c placé devant a en début de mot devient
ch.
- le a accentué (celui sur lequel porte l'accent tonique) devient
è (qui
peut s'écrire de diverses façons, par exemple ai) ou
é.
- le p placé entre deux voyelles ou devant un
r devient v.
Seul problème en ce qui concerne les noms de famille, ces trois règles ne
s'appliquent pas à l'ensemble du territoire français actuel. Elles ne
concernent évidemment pas les langues non romanes que sont le breton ou
l'alsacien, mais elles ne concernent pas forcément non plus les langues
romanes que sont le picard ou l'occitan. Voyons les choses de plus près :
1. c(a) > ch
Cette règle, essentielle, explique aussi des mots comme
château
(latin castellum), cheval (caballus),
chauve (calvus)
ou encore chapelle (latin populaire capella formé sur cappa).
Elle s'applique partout en France romane, sauf dans deux domaine
linguistiques, celui du picard (et du normand), et celui de l'occitan.
Ceci
explique par exemple que le nom de famille Capelle (= la chapelle) se
rencontre à la fois dans le Nord-Pas-de-Calais et dans l'Aveyron.
Les Chauvet et autres Chauveau,
Chauvin deviennent des Calvet dans le Rouergue
et en Roussillon, des Cauvet en Provence et en Normandie, des
Cauwet et des
Cauwin dans la région lilloise.
Pour en revenir à nos chèvres du départ, elles donnent en Normandie des noms
de famille tels que Laquièvre ou
Laquèvre, et le métier de chevrier donne
les noms Cabrier en Provence et dans la Somme.
Mais on rencontre aussi en
Auvergne et en Limousin, pourtant régions occitanes, de nombreux
Chabrier,
le c(a) s'étant transformé en
ch dans ces régions. Même chose avec l'occitan
Cabrol (= chevreuil), qui devient
Chabrol en Auvergne.
A noter que, dans le
sud-ouest et notamment en Béarn, la chèvre se dit souvent
craba, et
que le chevrier devient un crabier ou un
craber (également
crabé). Il s'agit d'un phénomène appelé métathèse, qui affecte très
souvent le r (ainsi le formage, du latin
formaticum, est devenu un
fromage).
2.
a accentué > è ou é
La règle est en fait beaucoup plus compliquée.
Il faut, pour qu'elle
s'applique, que ce a ne soit pas "entravé", mais il est difficile d'entrer
ici dans les détails.
Outre le nom chèvre, on la retrouve dans la
formation de tous les verbes français en -er (latin -are) et dans des mots
courants tels que père ou
mère (patrem, matrem).
Quelques-uns des exemples cités plus haute montrent qu'elles ne s'appliquent
pas à l'occitan, qui a conservé le son a.
Le père se dit paire, et la
mère est la maire (en catalan
pare et mare).
3.
p entre voyelles ou devant r > v
Cette règle s'applique également au b, et explique la transformation de
caballus en cheval. Parmi les autres exemples, on retiendra le
mot rivière, issu du latin
riparia, ou encore
cheveu (capillus).
Là encore, la règle ne s'applique pas partout, et en occitan ce
p est devenu
un b (avec une prononciation intermédiaire entre le
b et le v). Voilà
pourquoi les chèvres occitanes sont des
cabres, les chevaux des
cabals (même si la graphie correcte est cavals) et les cheveux
des cabels.
En fait, plus on est près de Rome, plus le nom garde une forme voisine du
latin (voire similaire), et plus on remonte vers le nord , plus les
transformations sont profondes.
Terminons avec notre charmante chèvre : elle
se dit en italien capra, exactement comme en latin, et se retrouve
dans des patronymes tels que Capri ou
Caprini (mais on trouve
Chiabra en Ligurie et
Cabras en Sardaigne).
Ensuite, du Languedoc jusqu'au Portugal,
elle devient cabra, et donne entre autres les noms espagnols
Cabrero,
Cabrera, ainsi que le portugais
Cabreiro.
En anglais la chèvre se dit
goat, mais le nom de famille désignant la chèvre, et par métonymie le
métier de chevrier, vient du français (et donc du latin) :
Cheever, Cheevers.
Même si la racine est la même, on est là bien loin du latin, du moins en
apparence.
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